Introduction

Dans la catégorie « mot pestiféré », le libéralisme a deux compagnons de cachot :

Le taux d’intérêt et le capital.

Le premier a été enfermé là il y a plusieurs siècles par l’église catholique.
A force de plaidoiries sur son rôle bénéfique, il est parvenu à obtenir quelques jours de sortie. Mais c’est la liberté surveillée : il est planifié par la banque centrale pour « piloter » l’activité économique.

Capital lui a encore moins de chance. Grand bienfaiteur de l’humanité, il est pourtant accusé de tous les maux, en particulier celui de voler les travailleurs.

Si le grand public connaissait leur vrai rôle, sûr qu’il irait jusqu’aux portes de la prison médiatique pour exiger leur libération.

Oyez, Oyez braves gens, la triste histoire des vrais héros de la prospérité moderne et des honteuses calomnies dont ils sont victimes.

« Ainsi, l’épargne et l’accumulation de biens de capitaux qui en résulte sont au début de chaque tentative d’améliorer les conditions matérielles de l’homme; c’est le fondement de la civilisation humaine. »
Action Humaine – Ludwig Von Mises.



Bon assez rigolé avec des blagues de boulevard, nous allons tenter une autre approche le temps d’un chapitre : la fresque historique à grand spectacle.

Imaginez à l’aube de l’humanité, une savane immense où des petits hommes poilus se dressent sur leurs pattes arrière.

Un matin, une petite silhouette fragile ne part pas à la chasse comme les autres.

Depuis plusieurs mois, chaque jour, elle a mis de côté un peu de nourriture. Après beaucoup de privations, elle a assez épargné pour tenir une semaine sans chasser.  Le petit humanoïde contemple avec fierté la viande séchée durement économisée.

L’EPARGNE VIENT D’APPARAITRE.
(Tatsoin, grand éclat sonore, genre 2001 l’odyssée de l’espace)

Elle a décidé de mettre à profit cette semaine libre pour se fabriquer une arme plus efficace. L’humanoïde taille avec détermination des silex sur une musique grandiose genre chant grégorien chantonné en chorale à la « 1492 ».
La musique grandiose s’arrête net. A la place, pendant quelques secondes, un silence et les bruits de la savane écrasée par la chaleur.
La petite silhouette -se découpant sur un soleil rougeoyant- lève alors doucement un silex aiguisé vers le ciel.

LE CAPITAL (ou plus précisement un bien de capital) VIENT D’APPARAITRE.
(Tatsoin, grand éclat sonore, genre 2001 l’odyssée de l’espace)

Quelques semaines plus tard, dans les crépitements nocturnes autour du feu, un autre chasseur fait une proposition au tailleur de silex.
« Tu me prêtes ton silex aiguisé pendant une semaine et en échange, je te donnerai deux gigots venant des mammouths que je vais tuer grâce à cette arme déjà fabriquée. »
Le tailleur de silex hésite un peu, regarde les mèches incandescentes virvolter au dessus du foyer, puis répond « d’accord ».

LE TAUX D’INTERET VIENT D’APPARAITRE.
(Tatsoin, grand éclat sonore, genre 2001 l’odyssée de l’espace)

La musique continue de plus en plus fort tandis qu’on voit un gigot de mammouth tournoyer sur un fond de ciel bleu.
Le gigot se transforme en grande tour en verre ultra-moderne avec marqué « banque » sur le côté. La musique s’arrête.

Pour le réalisme historique, je ne suis pas très sûr. Mais bon, c’est Hollywood, le grand spectacle quoi.
Mais le fond reste vrai. L’épargne, le capital et son accumulation, les taux d’intérêt ont vu le jour il y a très très longtemps.
Bien avant que des économistes se crêpent le chignon sur leur conceptualisation.

Le capital

Pour construire un avion, vous pouvez bien sûr partir de rien.

A mains nues et avec des matières premières brutes (une flaque de pétrole, du sable et des morceaux de métal) vous tentez de construire l’appareil.
Cela risque de prendre du temps, parce que même si vous disposez des connaissances techniques, il va falloir construire de multiples outils pour concevoir, mouler, assembler l’avion.

Et comme vous allez devoir vous nourrir pendant la période de fabrication de l’avion (ben oui ça risque de prendre plus d’une matinée), et donc trouver de la nourriture (à mains nues..), le temps quotidien disponible pour faire un cockpit ou un moteur risque d’être faible, voire inexistant.

Résumons : Vous avez des bras, un cerveau, les connaissances techniques, les matières premières et pourtant vos chances de construire un avion à mains nues sont nulles. Même en 100 ans. Même un petit avion.
Il vous manque des biens de capitaux. (par opposition aux biens de consommation). C’est-à-dire des machines outils, un bureau, des outils, du métal pré moulé, du papier, des crayons etc..

Or les biens de capitaux ne tombent pas du ciel. Ils ont été construit par d’autres hommes qui ont choisi de ne pas consommer immédiatement tout le fruit de leur travail pour le consacrer à fabriquer des outils plus perfectionnés. (Sans que cela soit d’ailleurs forcement une question de mèrite. Renoncer à tout consommer, c’est plus facile lorsqu’on a déjà beaucoup..)

Une constatation s’impose : le capital n’est pas l’ennemi du genre humain. Du moins si l’on veut fabriquer des petits avions, des gros avions, des médicaments, des vêtements, des radiateurs, des maisons, des routes, des bateaux, des ordinateurs, des fromages, des téléphones, des livres, des locomotives, des ampoules, des chaussures…

Les amis du genre humain ont donc tendance à considérer le capital comme bénéfique, du moins ceux qui ne veulent pas voir mourir de faim et de froid leur enfants mignons et innocents aux grands yeux implorants.

Et il se trouve que le droit de propriété favorise l’accumulation de capital. Et il se trouve aussi que le libéralisme défend obstinément le droit de propriété.
De là à dire que les libéraux sont les vrais amis du genre humain, il n’y a même pas un pas et ce n’est donc pas la peine de le franchir.

« Il n’est pas exact, non plus, d’appeler les capitaux matériels « du travail et de la nature emmagasinés ». Ils sont en réalité du travail, de la nature et du temps emmagasinés. La différence entre la production sans l’aide de capitaux et la production assistée par la mise en œuvre de capitaux matériels consiste en du temps.
Les biens de production sont des stations intermédiaires sur la route qui conduit du début de la production jusqu’à son but ultime, qui est de sortir des produits de consommation. Celui qui produit avec l’aide de capitaux matériels jouit d’un grand avantage sur l’homme qui part sans eux ; il est plus près, dans le temps, du but ultime de ses efforts. »
Action Humaine – Ludwig Von Mises.

Sur l’île de Steak frites, les premiers temps ont été durs.
Les naufragés n’avaient que leurs mains nues pour déterrer les patates ou tuer les vaches.

Ainsi, les chasseurs de patates sauvages -Oui, ils préfèrent se faire appeler comme ça plutôt que gratteurs de terre. D’abord parce que chasseur ça impressionne les femmes et puis c’est vrai : les patates étaient sauvages à leur arrivée sur l’île-.

Reprenons.

Les chasseurs de patates sauvages, donc, passaient toutes leurs journées à chercher des plans de patates dans les prairies de l’ile, à creuser avec les mains la terre puis à les ramener pour les faire cuire sous la cendre (miam)

Cela aurait pu continuer longtemps comme ça. Creuser avec les mains, manger les patates de la journée, creuser avec les mains, manger les patates de la journée.
Mais pour devenir un prédateur de patates sauvages plus redoutable, un des chasseurs n’a pas mangé toutes ses patates à la fin de la journée. Il en a gardé en réserve.
Puis au bout de trois semaines, il a eu un stock de patates assez conséquent pour ne pas aller à la chasse pendant une semaine tout en ayant assez de réserves pour se nourrir. C’est l’épargne.

Et il a consacré cette semaine à la fabrication d’une houe bien solide.
Avec la houe, sa productivité est démultipliée. Il fait des trous cinq fois plus rapidement que ses confrères. Les patates sauvages n’ont qu’à bien se tenir.

En termes d’économiste, ce chasseur a accumulé du capital (la houe) en restreignant sa consommation, c’est à dire en épargnant (des patates en l’occurrence) pour couvrir ses besoins le temps d’améliorer ou de créer du capital.

Le capitalisme


Il n’aura peut être pas échappé aux lecteurs linguistes distingués que le mot capital et le mot capitalisme ont des airs de famille.

Cette observation est justifiée : capital et capitalisme ont bien un air de famille (quelle lucidité chez mes lecteurs, vais-je être à la hauteur ?). Les mêmes lecteurs auront sans doute remarqué qu’aucune syllabe de capital ne se trouve dans libéralisme.

Mais alors pourquoi associe t-on les deux mots aussi souvent ? Quels sont les liens du capitalisme et du libéralisme ?

En fait, autant la définition du libéralisme est claire et reconnue unanimement (en Europe en tout cas), autant le mot capitalisme recouvre des sens assez différents (entre libéraux et adversaires du libéralisme, mais aussi entre libéraux).
Certains auteurs libéraux américains (Ayn Rand, Friedman) ont en effet utilisé le terme capitalisme en reprenant la définition du libéralisme. Le mot libéral ayant été littéralement vidé de son sens outre-atlantique jusqu’à devenir un synonyme de social-démocratie, voire de socialisme, ces libéraux américains se sont rabattus sur le terme capitalisme…

Cette source inutile de confusion n’est pas le meilleur des idées politiques made in USA.

Une définition plus rigoureuse du capitalisme, c’est : cadre institutionnel permettant l’accumulation de capital.

Dans ces conditions on peut distinguer :
– le capitalisme libéral
Le capital est détenu par les personnes privées qui l’ont acquis grâce à des échanges libres dans le cadre de l’économie de marché.

– le capitalisme de connivence.
Le capital est toujours détenu par des personnes privées, mais son acquisition s’est faite par des privilèges étatiques (réglementations, subventions, corruption, détournements, réserve fractionnaire des banques). Le capital est donc détenu par une oligarchie ayant mis directement ou indirectement la force de l’Etat à son service.

– Le capitalisme d’Etat.
Le capital n’appartient plus désormais à des personnes privées, mais à l’Etat lui-même.

Dans ce cadre, les libéraux défendent le capitalisme libéral (incroyable), et s’opposent au capitalisme de connivence comme au capitalisme d’Etat, enfants honteux ou légitimes de l’étatisme.

« Cependant, le travail à lui seul produit fort peu, s’il n’est aidé par l’emploi de ce qui a été réalisé auparavant, au moyen d’épargne et de capital accumulé. Les produits sont le fruit d’une coopération entre le travail et l’outillage ainsi que d’autres biens de production, coopération dirigée selon le plan à longue portée de l’entrepreneur. Les épargnants, dont les économies ont constitué et maintiennent le capital, et les entrepreneurs, qui drainent ce capital vers les emplois où il sert le mieux les consommateurs, ne sont pas moins indispensables au processus de production, que les travailleurs de force.

Il est dénué de sens d’imputer tout le produit aux apporteurs de travail, et de passer sous silence la contribution des apporteurs de capitaux et d’idées d’entreprise. Ce qui produit des objets utiles, ce n’est pas l’effort physique comme tel, mais l’effort physique correctement guidé par l’esprit humain vers un but défini. Plus grand (à mesure du progrès du bien-être général) devient le rôle des capitaux investis, plus devient efficace leur utilisation dans la combinaison des facteurs de production, et plus devient absurde la glorification romantique de la simple exécution routinière de travaux manuels. »
Action Humaine – Ludwig Von Mises

Les reprises sont-elles meilleures que les morceaux originaux ?

Si meilleur veut dire bonne place dans les hits parades, alors DJ Marx est l’exemple à suivre. Au XIX ème siècle, ce barbu branché cartonne à donf avec son album « Das Kapital » megamix de Hegel et Ricardo.

1867. On s’emmerde un peu sur les dancefloors étatistes Britanniques.

On se repasse en boucle les morceaux d’un vieux crooner Ricardo qui a inventé le concept de valeur-travail, on se trémousse sans trop y croire sur les singles de John Gray (1799-1883) et William Thompson (1775-1833), socialistes ricardiens qui chantent tristement le vol des travailleurs par les capitalistes.


C’est beau, mais c’est un peu chiant.

DJ Marx va réveiller la scène londonienne avec des samples de génie.

Il récupère la valeur-travail et l’idée des profits illégitimes capitalistes, rajoute une boite à rythme boumboum sur la lutte des classes et les lois de l’histoire.

Et ça marche du tonnerre. « Das Kapital » va rester en haut des charts des intellectuels pendant plus d’un siècle ! Trop délire !


Ce succès planétaire fera oublier les caprices de star de DJ Marx. Ce dernier ne reconnaitra jamais avoir sampler des morceaux des socialistes ricardiens.

Et lorsque la scène parisienne (Jean Batiste Say, Frédéric Bastiat) sortira des morceaux enterrant totalement le concept de valeur-travail,  DJ Marx prétendra ne jamais avoir écouté ces albums, mais arrêtera pourtant de mixer.. Sans doute découragé par le génie de la french touch.


Cette lucité (discrète) sur sa propre œuvre ne sera jamais partagée par les danseurs intellos qui s’agiront frénétiquement devant les basses dialectiques jusqu’au petit matin de 1989 (et même après).


La rave marxiste aura fait plus de 80 millions de morts et la zique n’était même pas bonne !  Mort de rire !



L’épargne

Sans nouveau capital, aucune raison pour que la productivité augmente.
Même les révolutions technologiques ont besoin de se matérialiser sous forme d’un nouvel outil de travail. Une idée de silex n’est rien si l’on ne dispose pas de l’épargne pour fabriquer ce silex.

L’épargne est donc la première étape indispensable pour créer (ou entretenir) du capital.

Que vous soyez sur une île déserte, dans la savane préhistorique ou dans une ville du XXI ème siècle, le principe est le même : si à la fin de chaque journée vous consommez l’intégralité du fruit de votre travail, vous vivez au jour le jour sans disposer de réserves vous permettant de survivre pendant la période où vous fabriquerez un nouvel outil de travail.

Sauf à vivre nus dans des cavernes humides, rien ne peut se faire sans d’abord renoncer à consommer l’intégralité du fruit de son travail, rien ne peut se faire sans d’abord épargner.

« Nous sommes les heureux héritiers de nos pères et ancêtres, dont l’épargne a accumulé les capitaux matériels à l’aide desquels nous travaillons aujourd’hui. Enfants choyés de l’âge de l’électricité, nous profitons encore de l’épargne primitive des pêcheurs des premiers temps qui, en fabriquant les premiers des filets et des barques, consacrèrent une partie de leur temps de travail à faire des provisions pour plus tard. Si les enfants de ces pêcheurs légendaires avaient employé et usé ces produits intermédiaires — filets et canots — sans les remplacer par des nouveaux, ils auraient consommé le capital, et le processus d’épargne et accumulation de capital aurait dû reprendre à zéro. Nous sommes en meilleure situation que les générations précédentes, parce que nous sommes équipés de biens de production qu’elles ont accumulés pour nous. »
Action Humaine – Ludwig Von Mises

 

« Au point de départ de tout progrès vers une existence plus fournie en satisfactions, il y a l’épargne : la constitution de réserves de produits, qui rend possible d’allonger la durée moyenne séparant le début du processus de production, et le moment où il fournit un produit prêt à l’emploi et à la consommation. »
Action Humaine – Ludwig Von Mises
« Il est évident que, pour toute formation de capital, il doit y avoir de l’épargne -une restriction de la jouissance de biens de consommation dans le présent- et l’investissement d’un équivalent de ces ressources dans la production de biens de capitaux ».
Man, Economy and State – M Rothbard

Dans nos sociétés modernes, nous ne percevons pas au jour le jour les gains issus de l’épargne.

Plusieurs phénomènes contribuent à cette perception erronée.
D’abord le capital accumulé au fil des siècles est déjà tellement important que même sans épargner, nous pouvons vivre dans un confort certain pendant de longues décennies, en dilapidant l’héritage.

Ensuite avec la division du travail, ceux qui épargnent ne sont pas les mêmes que ceux qui utilisent l’épargne pour entretenir ou créer des biens de capitaux. Pourtant le rôle de l’épargne reste strictement identique à l’économie d’il y a 10 000 ans. En épargnant, c’est-à-dire en travaillant sans pour autant tout consommer immédiatement, nous entretenons quelqu’un – un chercheur, un ingénieur, un ouvrier-  qui travaille sans produire quelque chose de consommable immédiatement, une machine outil, une usine, un nouvel appareil révolutionnaire ou un futur produit.

Enfin la monnaie -surtout manipulée comme aujourd’hui- masque aussi la réalité de l’investissement. Des savants fous ont expliqué qu’en imprimant de la monnaie, on n’avait plus besoin d’épargner pour investir. C’est magique, il suffit de sortir la planche à billets et hop de l’épargne et du capital sortent d’un chapeau magique.

Le capital déjà accumulé, la division du travail, la monnaie manipulée rendent plus difficile la perception de l’importance de l’épargne et de l’investissement.

Mhh une perception plus complexe, c’est du pain béni pour quelques macro-économistes drapés dans des indicateurs ultra-agrégés déconnectés de l’action humaine. Incapable de permettre à une société primitive de fabriquer un silex, ils voudraient diriger une société ultra-complexe… avec un costume-cravate aussi intimidant que le masque de grand sorcier de la préhistoire.

Bah… le chasseur libéral des grandes steppes économiques du XXI ème a le regard perçant pour distinguer les mammouths productifs des ronds de fumée keynésiens.

Le capital 2


Le capital c’est donc les objets très divers (usines, bureaux, raffineries, tournevis, camions, stylos, claviers, moissonneuses batteuses, éprouvettes) utilisés pour fabriquer plus vite ou mieux les biens ou les services permettant de ne pas mourir de faim, de froid ou d’ennui.

Le capital, par définition ne nous donne pas en tant que tel une satisfaction immédiate, il est un moyen de fabriquer davantage ou de meilleures satisfactions ultérieures. Certains biens de capitaux ne permettront d’obtenir une satisfaction que dans très longtemps (un centre de recherche et développement pour un nouveau vaccin), d’autres dans moins longtemps (une nouvelle usine pour fabriquer plus vite des vaccins déjà inventés) et d’autres dans des délais assez proches (une simple modernisation d’une usine déjà existante).

Le capital a donc deux caractéristiques capitales (hé, hé hé) : sa diversité et son éloignement temporel par rapport à la production du bien final, le bien de consommation.

Ce qui permet à un entrepreneur de connaître l’éloignement temporel possible d’un nouvel investissement, c’est le niveau d ‘épargne. Plus l’épargne est abondante, plus les investissements peuvent être réalisés sur du capital éloigné temporellement de la production finale. Et le thermomètre de ce niveau d’épargne, ce sont les taux d’interêts.

Imaginez le désastre qui peut se produire lorsque l’on casse ce thermomètre. Euuh en fait, si vous vivez en 2009, vous n’avez pas besoin d’imaginer…

« Dans l’économie de marché, la production est une poursuite continuelle, incessante, répartie en une immense variété de processus partiels. Des procédés de production innombrables, comportant chacun sa durée propre de production, suivent leur cours simultanément.

Ils sont complémentaires les uns des autres et, en même temps, sont en compétition entre eux, rivalisant pour obtenir les moyens relativement rares nécessaires à la production. Constamment il y a de l’accumulation de capital par l’épargne, ou du capital antérieurement accumulé entamé par un excès de consommation. La production se distribue entre de nombreuses entreprises individualisées — usines, fermes, ateliers, commerces — dont chacune sert seulement à des objectifs distincts et limités.

 Les produits intermédiaires ou biens de production, les produits servant à d’autres productions, changent de mains au cours des activités ; ils passent d’un établissement à un autre jusqu’à ce que, finalement, les biens de consommation parviennent à ceux qui les consomment et en jouissent. Le processus social de la production ne s’arrête jamais. A tout instant des opérations sont en cours, certaines proches et certaines éloignées de l’achèvement de leur tâche spéciale. »
Action Humaine – Ludwig Von Mises

 


Les théories du capital sont le champ d’étude le plus prestigieux et le plus complexe  de l’économie théorique.

Deux questions fondamentales traversent ce vaste champ d’étude.

Quelle est la structure du capital et de ses modes d’accumulation, d’utilisation, d’entretien ? Homogène (Ricardo, Marx, Keynes, Friedman) ou hétérogène (École autrichienne) ?
C’est important parce que si le capital est homogène, n’importe quel investissement est bon, il produira les mêmes effets. Et justement n’importe quoi, c’est la spécialité de l’État en matière d’investissement économique.

Quelle est l’origine des revenus (les taux d’intérêts) qu’il génère ? L’exploitation (Marx), sa productivité propre (Schumpeter) ou la préférence temporelle (Ecole autrichienne) ?
C’est important parce que si l’origine des revenus du capital c’est l’exploitation, et bien il est urgent d’interdire ces revenus. Personne n’aime l’exploitation.

Ces deux questions et leurs déclinaisons sont le prétexte à de vastes empoignades dont le résultat politique -lorsque l’Ecole autrichienne ne l’emporte pas- permet de belles irruptions de chômage et des crises économiques violentes.

Bienvenue donc dans la grande demeure des théories du capital
Ha ! Ha  ! Ha ! Ha ! Ha ! (Echo sinistre et grincement de la porte qui se referme).

Le capital mythique

Les biens de capitaux, comme les biens de consommation, sont donc différenciés. Une moissonneuse batteuse n’est pas identique à une fonderie pour fabriquer le métal de la moissonneuse batteuse.

Ca parait évident comme ça.

Malheureusement, beaucoup de théories macroscopiques utilisent la définition comptable du capital.
C’est-à-dire en gros le prix sur le marché de ce bien de capital.
Et pouf, pouf la moissonneuse batteuse comme la fonderie deviennent équivalentes : un capital de 100 000 euros.

C’est très embêtant parce qu’en dehors du fait qu’une fonderie ne servira à rien dans un champ, même pas à faire peur aux moineaux, la fonderie est un bien de capital beaucoup plus éloigné temporellement de la production finale d’un bien de consommation qu’une moissonneuse batteuse. La fonderie se situe « avant » la moissonneuse batteuse puisque cette dernière va être moulée avec du métal venant la fonderie..

En bâtissant une théorie du capital sans tenir compte de la différenciation des biens de capitaux on perd -entre autres- une information  indispensable : le position des biens de capitaux sur un axe temporel, donc la quantité d’épargne nécessaire pour tenter cet investissement.

L’utilisation de ce capital indifférencié dans les modèles macro-économiques est dénoncée avec vigueur par les économistes autrichiens qui ironisent en parlant de capital mythique.
Malheureusement, contrairement aux Dieux de l’Olympe, le capital  mythique a encore beaucoup d’Oracles qui sévissent dans les ministères ou les banques centrales…

« Avec tout le respect pour les qualités intellectuelles de mon adversaire, je dois m’opposer avec véhémence à sa doctrine afin de défendre une théorie du capital solide et naturelle contre une mythologie du capital »
Quaterly Journal of Economics Fevrier 1907 – Ev Bohm-Bawerk

« ../ tous les problèmes qui sont communement discutés sous le titre général de ‘capital’ viennent du fait qu’une part de l’équipement productif est non-permanent et doit être délibérement remplacé, et qu’il n’y a aucun sens à parler de capital comme quelque chose de permanent qui existe en dehors de biens de capitaux non-permanents.
Deuxièmement, une augmentation du capital signifiera toujours une extension de la dimension temporelle de cet investissement. »
The mythology of capital 1936 – F Hayek.

« Les problèmes qui sont soulevés par toute tentative d’analyser les dynamiques de production sont principalement des problèmes connectés aux relations entre les différentes parties d’une structure de production élaborée que l’Homme a construit pour servir ses besoins. Mais toutes les différences essentielles entre ces parties sont obscucies par l’habitude de les agréger sous la définition générale de stock de capital. »
The pure theory of capital – F. Hayek

 

Dans l’Olympe de beaucoup de macro-économistes, il y a le capital mythique, une substance magique, indifférenciée et homogène, servant à la production. Il se matérialise instantanément tantôt sous la forme d’une locomotive et un millionième de seconde plus tard il devient un paquebot si les consommateurs ont changé de goût. Cette substance est naturellement inusable (pas besoin de travailler pour l’entretenir) et largement autonome (les entrepreneurs sont inutiles). Que du bonheur…

Mais cette divinité s’exonère des contraintes que nous autres pauvres mortels subissons :

– le temps nécessaire à créer des biens de capitaux réels,

– les erreurs qui peuvent se produire

– la difficulté à ré-utiliser un bien de capital une fois qu’il a été construit pour un premier usage (une locomotive ne flotte pas)

En cela, elle induit massivement en erreur son clergé -pardon les macro-économistes qui nous gouvernent-.

Ces derniers s’imaginent alors qu’il suffit d’imprimer des billets pour créer du capital ou que l’on peut manipuler sans conséquences les taux d’intérêts.

Malheureusement, malgré toutes les invocations du clergé, de grandes messes du G20 en prières de la banque centrale, le capital mythique ne se manifeste pas.

Pire ! Les rituels en faveur du capital mythique dérèglent le fonctionnement du capital réel… et provoquent des crises économiques mondiales.

Mais le clergé sait ce qui cloche, c’est un juste châtiment pour punir les hérétiques : il faut davantage de rituels, davantage de sacrifices, davantage de dons aux banques et davantage de foi de la part des fidèles.

Les économistes autrichiens sont un peu les laïcards de cette théocratie monétaire. Chacun a bien le droit d’avoir ses croyances, mais pourquoi imposer les siennes par la force de l’Etat ?

La structure du capital

Contrairement au capital mythique, -un fond homogène-, la capital réel est une chaîne de biens de capitaux plus ou moins éloignés temporellement (dans le passé) du bien de consommation final.

Pour construire une locomotive à vapeur, il faut :

– d’abord construire des biens de capitaux pour extraire le métal du sol (plusieurs années en amont du premier tchou-tchou de la future locomotive)

–  puis fabriquer des biens de capitaux pour fondre ce métal, le mouler

– enfin des biens de capitaux pour assembler la locomotive –quelques mois avant son premier sifflement-

Dans une économie réelle, il y a des millions de processus de production qui existent en parallèle, chaque investissement supplémentaire complexifiant ces processus ou allongeant la période de production.

Naturellement compte tenu de la durée de production, l’environnement ou la demande des consommateurs a le temps de se modifier entre le début de la construction d’un bien de capital et son utilisation effective. Certains biens de capitaux changent ainsi d’utilisation en cours de route -souvent avec un surcoût- d’autres sont purement et simplement abandonnés.

Contrairement à la vision d’un capital mythique complètement horizontal temporellement, le capital réel présente une structure infiniment complexe dont l’un des axes est le temps.

« Une théorie des investissements basée sur la supposition d’un capital homogène et quantifiable est obligée d’ignorer des caractéristiques importantes de la réalité. Ainsi, elle ne peut qu’analyser des changements quantitatifs du capital, investissement et désinvestissement.
Elle ne peut pas analyser les changements dans la composition du stock. Pourtant, il ne fait aucun doute que ces changements de composition sont d’une importance fondamentale sur plusieurs aspects, en particulier les causes et les effets d’un investissement.
Tant que nous resterons sur la vision d’un capital homogène, nous ne verrons, comme Keynes, que les effets défavorables des investissements sur les revenus et sur la valeur des biens de capitaux, puisque tous les éléments d’un agrégat homogène sont nécessairement des substituts parfaits les uns pour les autres. »
Capital and its structure – 1955 – Ludwig M. Lachmann

 

L’utilisation d’un capital « mythique » homogène remonte à loin. Elle apparaît dès les premiers économistes classiques (Adam Smith, Ricardo) qui récupèrent sans doute ce concept des comptables.

Le flambeau est ensuite transmis dans les mains des néoclassiques (JB Clark (1847-1938) et FH Knight (1885-1962)) pour être ensuite passé aux Keynésiens et aux monétaristes.

Ces théories apparaissent aujourd’hui dans la quasi-totalité des manuels d’économie qui présentent certes le fameux cycle investissement – consommation, mais comme si ce dernier se produisait instantanément. En effet puisque que le capital est homogène, il réalise instantanément les nouveaux vœux des consommateurs, sans avoir besoin de modifier une structure de production s’étalant sur plusieurs années.


Du côté de l’école autrichienne, -le capital structuré-, le patriarche Carl Menger (1840-1921) ouvre la voie. Il définit ainsi les biens d’ordre premier (les biens de consommation) puis les biens d’ordres supérieurs (les biens de capitaux) de plus en plus éloignés temporellement des biens de consommation. La théorie est ensuite enrichie par Eugène Bohm-Bawerk et Wickell puis finalement par Mises, Hayek et Rothbard.


Elle est, comme il se doit, totalement absente des manuels scolaires… Peut-être par souci louable d’orientation professionnelle des futurs économistes… Comment trouver du travail à la banque centrale, dans les banques privées ou dans les ministères avec une théorie du capital établissant la responsabilité écrasante de ces institutions (dans  leur forme actuelle) dans les crises économiques ?

Le temps

Attention,  retenez votre respiration, nous allons dans les grandes profondeurs des évidences :

a) Le temps est inséparable de l’activité humaine. On ne peut rien faire -penser, agir, dormir- sans prendre du temps. (Je vous avais prévenu que nous allions descendre bien profond dans les évidences)

b) Chaque action humaine de production est dirigée vers un objectif. Et comme les actions humaines prennent du temps -voir (a), réaliser un objectif prend du temps. Cette mécanique logique implacable nous amène au troisième point.

c) Toute chose étant égale par ailleurs, nous autres pauvres mortels nous choisiront, en général, la méthode qui consomme le moins de temps possible pour atteindre un objectif.

Entre balayer une pièce avec un balai et balayer une pièce avec une brosse à dent, nous utilisons en général le balai.

Dit autrement, toute chose étant égale par ailleurs, nous préférons en général une satisfaction dans peu de temps (la pièce balayée en 10 minutes) à la même satisfaction ultérieure (la pièce balayée en 3 heures).

Puisque la rapidité à atteindre un objectif a souvent de la valeur, ceux qui veulent atteindre un objectif plus rapidement peuvent vouloir acheter des moyens d’économiser du temps.

Le fait de plutôt préférer une satisfaction maintenant plutôt qu’une satisfaction ultérieure s’appelle la préférence temporelle.

Cette préférence temporelle entraîne le fait que, toute chose étant égale par ailleurs, un bien présent a plus de valeur qu’un bien futur. Le ratio du prix d’un bien futur par rapport à un bien présent s’appelle le taux d’intérêt pur.

« La préférence du moment est une composante catégorielle de l’agir humain. Il est impossible de penser une action dans laquelle la satisfaction à brève échéance n’est pas — toutes choses égales d’ailleurs —préférée à celle attendue pour plus tard. L’acte même de satisfaire un désir implique que la gratification ressentie au moment présent est préférée à la même différée.

Quelqu’un qui consomme un bien non périssable au lieu d’en reporter à plus tard la consommation révèle ainsi qu’il évalue la satisfaction présente, davantage que différée. S’il ne préférait pas la satisfaction différée de peu à la satisfaction encore plus éloignée, il ne consommerait jamais et ne satisferait pas à ses besoins. Il accumulerait toujours et ne consommerait jamais, ne goûterait jamais. Il ne consommerait pas aujourd’hui, mais pas davantage demain, puisque demain lui présenterait la même alternative. »
Action Humaine – Ludwig Von Mises

“La préférence temporelle peut être appelée préférence pour une satisfaction immédiate sur une satisfaction future, ou d’un bien présent sur un bien futur –sous réserve qu’il s’agisse bien de la même satisfaction qui est comparée entre les deux périodes de temps.
Ainsi une objection commune contre l’universalité de la préférence temporelle est que, en hiver, un homme préférera la livraison de glace pour l’été suivant (future) à la livraison de glace immédiatement. Cela mélange le concept de bien avec ses caractéristiques physiques, alors que le concept de bien est en fait rattaché à la satisfaction subjective qu’il procure. Puisque la glace-en-été donne des satisfactions différentes de la glace-en-hiver, il s’agit de biens différents. Dans ce cas là, il s’agit de satisfactions différentes qui sont comparées, malgré le fait que leurs propriétés physiques sont similaires. »
Man, Economy and State – M Rothbard

 


Dans son chef-d’œuvre, « Avec le temps », Leo Ferré murmure avec talent la chanson la plus déprimante de l’histoire de la musique.

Mais il se trompe. Il y a de l’espoir : avec le temps, tout ne s’en va pas. Il reste les taux d’intérêt.

Le taux d’intérêt pur, ce n’est pas exactement un prix, c’est le ratio entre la valeur d’un bien demain et la valeur d’un bien aujourd’hui.

Par exemple, tout chose égale par ailleurs, un gourmand préfèrera un carreau de chocolat maintenant au même carreau de chocolat demain.
Par contre il renoncera peut être à ce carreau de chocolat maintenant en échange de 4 carreaux de chocolat demain. Dans ce cas, la valeur de 4 carreaux demain est supérieure pour lui à la valeur d’un carreau aujourd’hui.
Le taux d’intérêt pur pour ce gourmand est de 4 carreaux /1 carreau de chocolat. (Cet exemple est assez  irréaliste, un vrai gourmand préfèrera toujours un carreau maintenant même contre 10 tablettes demain. C’était juste pour expliquer).

Imaginons maintenant deux petits gourmands dans une cour de récré qui obtiennent tous les jours deux carreaux de chocolat. Le gourmand A, parce que c’est son anniversaire, veut manger le maximum de chocolat aujourd’hui.
Il peut donc échanger ses deux carreaux de demain contre un carreau aujourd’hui.

Le gourmand B donnera donc un de ses carreaux aujourd’hui contre deux carreaux demain. Les deux sont satisfaits par l’échange, le gourmand A accorde plus de valeur à un carreau aujourd’hui qu’à deux demain. Inversement le gourmand B accorde plus de valeur à deux carreaux demain qu’à un aujourd’hui. Cet échange libre a donc créé de la valeur (subjective) pour les deux gourmands.

Il y a ainsi un marché des biens présents contre les biens futurs.

Le taux d’intérêt pur


Le fait qu’un bien futur ait moins de valeur qu’un bien présent se retrouve dans le calcul économique d’un investissement.

Un investisseur sera prêt à payer une machine de production un prix équivalent aux revenus que cette machine lui rapportera (tous les mois par exemple) durant sa durée de vie. Par exemple si la machine lui rapporte 5 brouzoufs par mois pendant 100 mois, il sait déjà qu’elle lui rapportera 500 brouzoufs au total.

Sans la préférence temporelle, certains biens auraient une valeur infinie. Un lopin de terre va produire du blé pendant de très longues périodes (des millénaires ?). S’il devait valoir la somme de ses revenus futurs, son prix serait infini…

Or on le voit bien, le prix de la terre n’est pas infini.

Son prix n’est pas infini parce que plus les récoltes sont dans un futur lointain, moins elles ont de la valeur. Une récolte dans 200 ans vaut pratiquement zéro pour son acheteur comme pour son vendeur.

L’investisseur utilisera le taux d’intérêt pour vérifier que l’investissement vaut vraiment la peine d’être fait. Les gains dans quelques mois ne valent pas 5 brouzoufs, mais un peu moins : 4,7 puis 4,6 etc… Le revenu total généré par la machine ne sera donc pas de 500 brouzoufs, mais moins, peut être 450. Si l’investisseur achète sa machine 500 brouzoufs, il perdra de l’argent.

Le taux d’intérêt pur -le ratio entre un prix futur et un prix présent- n’est donc que l’expression d’un phénomène parfaitement naturel : toutes choses égales par ailleurs un bien dans le futur a moins de valeur qu’un bien présent. Et plus ce futur est éloigné, moins le bien aura de la valeur.

« L’intérêt originaire est le rapport entre la valeur attribuée à la satisfaction dans le futur immédiat, et la valeur attribuée à la satisfaction du même besoin dans des temps plus éloignés.
Il se manifeste en économie de marché par la dépréciation des biens à venir, comparés aux biens présents. C’est un rapport entre des prix de denrées, non un prix en lui-même. »
Action Humaine – Ludwig Von Mises

« [Le taux d’intérêt] est révélé sur le marché des fonds prêtables par la confrontation des prêteurs et des emprunteurs. Le comportement des prêteurs est déterminé par leur « préférence pour le temps », c’est-à-dire qu’ils demandent une compensation – le taux d’intérêt – pour renoncer à leur préférence pour le présent. Le comportement des emprunteurs, en particulier propriétaires de fonds propres, est déterminé par le taux de rendement qu’ils espèrent obtenir par l’usage des ressources empruntées. »
La crise financière : causes, conséquences, solutions. – Pascal Salin


Si un méchant astéroïde devait s’écraser dans 3 mois sur notre chère planète Terre, anéantissant l’humanité de manière certaine, les taux d’intérêt à 4 mois tendraient sans doute vers l’infini.

En effet, la préférence temporelle deviendrait à ce moment-là très forte. Si la fin du monde est dans 3 mois, peu de gens voudraient renoncer à une satisfaction immédiate contre une satisfaction future (ben oui, y’a pas de futur).

Pour faire renoncer à une satisfaction présente, un emprunteur devrait promettre de rembourser une satisfaction future (dans 4 mois) colossale (et il n’est pas sûr qu’il trouve pour autant un prêteur). Le ratio entre la valeur subjective d’un bien futur sur la valeur subjective d’un bien présent, -le taux d’intérêt donc pour ceux qui suivent- à l’approche de l’apocalypse deviendrait donc si élevé que le marché du temps serait inexistant.

A contrario, dans une cabine spatiale revenant sur Terre dans 6 mois,  l’équipage aurait une préférence temporelle assez faible pendant les 5 prochains mois, puisqu’il n’y aurait de toute manière rien à acheter avant le retour sur Terre.

Ainsi 100 Star-Brouzoufs maintenant ou 100 star-Brouzoufs dans les 5 prochains mois auraient pratiquement la même valeur subjective. Le taux d’intérêt pur à 5 mois dans ce BattleStar Galactica sans consommation ou investissement possible avant 6 mois serait très faible.

Ce qui est vrai dans l’espace ou à quelques semaines de la fin de l’humanité est aussi vrai sur Terre sans le moindre armageddon envisageable à moyen terme : le taux d’intérêt pur donne une information précieuse sur la préférence temporelle des braves humains d’ici ou d’ailleurs.

Enfin cette information précieuse, elle existe seulement lorsqu’il n’y a pas de banque centrale pour tout dérégler…

Avec une banque centrale qui comme aujourd’hui fixe les taux, à deux mois de l’arrivée de l’astéroïde nous aurions des taux de marché à 1% (pour relancer l’économie, si, si). Le moment ou jamais d’investir dans des projets immobiliers ambitieux.

Le taux d’intérêt du marché

Le prix aujourd’hui des biens de capitaux est fonction des revenus qu’ils peuvent générer dans le futur.

Par exemple si un bien de capital génère des revenus de 10 pièces d’or par mois pendant une durée de vie de 10 mois.


On voit bien dans ce tableau que lorsque les taux vont de Fort à Faible, le prix des biens de capitaux augmentent mécaniquement.

Et à contrario, on voit bien que lorsque les taux vont de Faible à Fort, les prix des biens de capitaux diminuent mécaniquement.

Cette influence des taux est d’autant plus grande que le bien de capital est éloigné temporellement de la production des biens de consommations.

« Le rôle que le taux d’intérêt joue dans ces délibérations de l’homme d’affaires qui dresse son plan est évident. Il lui montre dans quelle mesure il peut soustraire les facteurs de production aux emplois où ils satisfont des besoins proches, pour les consacrer à satisfaire des besoins plus éloignés dans le temps.

Il lui indique quelle est la période de production qui, dans chaque cas, correspond à la différence que le public fait entre la valeur des biens présents et des biens futurs. Il lui fait abandonner les projets dont l’exécution ne serait pas compatible avec le volume limité des capitaux matériels fournis par l’épargne du public. »
Action Humaine – Ludwig Von Mises

« Une préférence temporelle plus basse sera reflétée dans une proportion plus grande d’investissement par rapport à la consommation, un allongement de la structure de production et l’accumulation de capital »
American Great Depression – Murray Rothbard

Le taux d’intérêt -bien qu’innocent des crimes dont on l’accuse- est l’eternel fugitif des biens pensants de toutes sortes…

Il a d’abord été pourchassé pour des raisons morales par l’Eglise Catholique et par les marxistes, puis pour des raisons d’efficience économique pour les macro-experts Keynésiens ou Monétaristes du XX ème siècle.

En ce qui concerne les accusations morales, le fugitif est innocent. Le taux d’intérêt du marché se base sur un taux d’intérêt pur qui est une conséquence mécanique de l’écoulement du temps et du fait que, toutes choses égales par ailleurs, nous autres pauvres mortels préférons (en général) une satisfaction présente à une satisfaction future.

Dans un système libéral, -sans banque centrale comme aujourd’hui donc- le taux d’intérêt du marché est établi sur un marché libre, c’est-à-dire que les  acteurs consentent librement à échanger des biens présents contre des biens futurs et peuvent s’abstenir d’échanger si les conditions ne leur conviennent pas.
Au contraire d’un taux « libéral », les méthodes des persécuteurs du fugitif sont immorales. Il n’est pas juste de voler massivement par la violence de l’Etat -en fixant les taux d’intérêt- les prêteurs en faveur des emprunteurs ou vice versa.

Mais même en dehors de l’aspect moral, l’efficience économique est du côté du fugitif.

L’efficience économique vient de la transmission la moins mauvaise possible de l’information sur les préférences temporelles de la population. Les bidouillages très approximatifs de cette information conduisent assez régulièrement à d’immenses catastrophes collectives -les crises économiques- que nos chers sorciers en taux d’intérêt imputent paradoxalement au libéralisme.

Le fugitif est ainsi aujourd’hui encore accusé de beaucoup de maux, et nombreux sont ceux qui souhaitent le voir totalement éliminé.

Mais il est innocent, il court vite et l’avenir montrera que les coupables sont justement ceux qui le poursuivent…

Le taux d’intérêt de marché 2


Le taux d’intérêt joue donc un rôle primordial dans la coordination entre les épargnants, les investisseurs et les producteurs.

Résumons :
   –    Pour créer de nouveaux biens de capitaux, il faut de l’épargne.

   –    Ces biens de capitaux ne sont pas homogènes, ils sont plus ou moins éloignés temporellement de la production de nouveaux biens de consommation.

  –    Ca tombe bien, la préférence temporelle, c’est-à-dire la valeur accordée à un bien présent par rapport à un bien futur est indiquée par le taux d’intérêt pur.

–    Grâce aux taux d’intérêts, l’investisseur avisé sur un marché libre pourra donc investir dans des biens de capitaux correspondant aux goûts de la population.

->  Si les taux d’intérêt sont bas, l’épargne sera suffisante pour que l’investisseur puisse allonger ou complexifier la structure de production en fabriquant des biens de capitaux éloignés temporellement des biens de consommation. Ben oui, le public est prêt à troquer des biens présents contre des biens de consommation dans un futur éloigné.

-> Si les taux d’intérêts sont haut, l’épargne n’est pas suffisante et l’investisseur avisé se contentera de maintenir les biens de capitaux fabriquant rapidement des biens de consommations : le public ne veut pas troquer des biens présents contre des biens futurs.

« Par conséquent, il est hors de question que l’intérêt puisse être aboli par les institutions, les lois, ou par des procédés de manipulations bancaires. Qui prétend « abolir » l’intérêt devra persuader les gens qu’une pomme dans cent ans vaut autant qu’une pomme maintenant. Ce que les lois et décrets peuvent abolir, c’est simplement le droit pour les capitalistes de percevoir un intérêt. Mais de telles décisions d’autorité entraîneraient la consommation de capital, et rejetteraient bientôt l’humanité vers son état originel de naturelle pauvreté. »
Action Humaine – Ludwig Von Mises

« Aussi longtemps que le monde n’est pas changé en un pays de cocagne, les hommes sont confrontés à la rareté et par conséquent il leur faut agir et économiser ; ils sont obligés de choisir entre des satisfactions proches ou futures, parce que ni les premières ni les dernières ne peuvent conduire au parfait contentement.

Donc un changement dans l’emploi des facteurs de production qui en soustrait à la satisfaction de besoins prochains, pour les consacrer à celle de besoins plus éloignés dans le temps, doit nécessairement amoindrir le degré de satisfaction dans le futur proche pour l’améliorer dans le futur plus lointain. »
Action Humaine – Ludwig Von Mises

Dans l’antiquité, tout baigne pour les prêteurs. D’Alexandrie à Rome en passant par Athènes, percevoir des taux d’intérêt est accepté pratiquement partout.


Plus tard, au tout début de l’Eglise, les prêts avec intérêts ne suscitent pas davantage de réprobation qu’un péché véniel… Une forme honteuse d’avarice et non un péché grave contre la justice, pas de quoi casser trois pattes à un canard.


C’est seulement plusieurs siècles après la création de l’Eglise que celle-ci s’enflamme petit à petit contre des taux d’intérêt baptisés taux d’usure quelque soit leur montant. De condamnation polie, elle devient ainsi l’obsession de certains théologiens rivalisant alors d’anathèmes contre cette pratique.


Bref, après trois siècles d’indifférence, le premier concile de l’Eglise en 325 interdit les prêts avec intérêts mais seulement au clergé.


Au Vème siècle, le Pape Léon I fait profiter la société entière de cette interdiction.


En 788, ça dérape dans le politique. L’empereur Charlemagne interdit l’usure sur tout le territoire.


Durant les siècles suivants, les condamnations se font de plus en plus radicales et violentes. Le sommet étant atteint au XIeme siècle, avec Saint Anselme de Canterbury (1033-1109) qui déclare que l’usure est du vol et décrit avec beaucoup de détails croustillants le sort reservé à ces voleurs dans l’au-delà.

Un vol sans tromperie et avec le consentement de la victime… Si seulement tous les vols étaient de cet ordre là…

 

Le mal-investissement 1

Investir correctement ce n’est pas seulement bien choisir le domaine dans lequel il faut investir :
– Des voitures
– Des vaccins…

C’est aussi bien choisir l’étape temporelle de la structure de production dans laquelle il faut investir :
 – Un nouveau centre de recherche, donc très éloigné de la production d’un nouveau bien de consommation
– Ou une nouvelle unité de production pour un produit déjà existant, donc assez proche temporellement de la production d’un nouveau bien de consommation.

Lorsque l’investisseur se plante, c’est-à-dire lorsqu’il n’évalue pas correctement l’étape dans la structure de production dans laquelle il faut investir, c’est un mal-investissement. Un investissement qui gaspille des ressources et détruit de la valeur.

Un mal-investissement correspond donc à la création d’un bien de capital ne répondant pas à la préférence temporelle du grand public, c’est-à-dire au taux d’intérêt ou au niveau d’épargne réel

Par exemple si un investisseur sur-estime l’épargne disponible, il va se lancer dans un projet pharaonique qu’il ne pourra pas terminer ou qu’il terminera au détriment des vrais besoins du public.

« L’augmentation de l’épargne volontaire (…) implique une diminution du taux d’intérêt du marché.
../…
Il est important de noter qu’une chute des taux d’intérêt causée par une augmentation de l’épargne volontaire affecte considérablement la valeur des biens de capitaux, en particulier ceux qui sont utilisés à des étapes de production éloignées de la production de biens de consommation. Ces biens de capitaux ont une durée de vie relativement longue et contribuent largement aux processus de production. »
Money, Bank Credit, and economic cycles – Hernando de Soto


Sur l’île de Steak-Frite, le naufragé Léonard a une idée géniale qui va bouleverser la production de steak.

Pour chasser les vaches sauvages, il imagine un lance-patate à vapeur monté sur trépied. Cette machine infernale peut faucher un champ de vaches sauvages en moins de 10 minutes (à condition de bien viser et que les vaches ne tournent pas sur elles-mêmes parce que sinon, les patates frappent un peu partout, ça fait des bleus à la vache mais cela ne la tue pas, mais bref nous nous égarons dans des détails techniques…).

Léonard évalue le stock d’épargne dont il a besoin pour survivre pendant la fabrication du bien de capital « lance-patate ». Son stock lui permet de survivre 9 semaines. Ca tombe bien la fabrication de son lance-patate nécessite 8 semaines de travail.

Léonard se lance donc à corps perdu dans « l’allongement de la structure du capital » : il fabrique un lance-patate.

Hélas, Léonard est plus doué pour la création d’armes de destruction massive que pour compter son épargne. Il réalise au bout de 3 semaines qu’il n’a pas pour 9 semaines de réserve mais seulement pour 5.

Catastrophe ! Il a donc brûlé 3 semaines de réserve durement économisée pour se retrouver avec un lance patate à vapeur à moitié fini : il n’y a pas de système à vapeur.

Le pauvre Léonard, ruiné, est donc obligé de retourner chasser les vaches avec une lance sous le regard ironique des autres chasseurs.

Et le demi lance-patate à vapeur rouille désormais au fond d’un champ sous le regard ironique des vaches soulagées.

A l’origine de ce gâchis ? Un mauvais investissement du à une mauvaise évaluation de l’épargne disponible.

Et ne riez pas des mésaventures du pauvre Léonard. Cela se produit aussi dans nos économies, parfois de manière massive.
Cela s’appelle une crise économique.

Mais dans ce cas, la mauvaise évaluation n’est pas due à une erreur des braves entrepreneurs comme Léonard, mais aux manipulations monétaires des banques…