Dans la catégorie « mot pestiféré », le libéralisme a deux compagnons de cachot :
Le taux d’intérêt et le capital.
Le premier a été enfermé là il y a plusieurs siècles par l’église catholique.
A force de plaidoiries sur son rôle bénéfique, il est parvenu à obtenir quelques jours de sortie. Mais c’est la liberté surveillée : il est planifié par la banque centrale pour « piloter » l’activité économique.
Capital lui a encore moins de chance. Grand bienfaiteur de l’humanité, il est pourtant accusé de tous les maux, en particulier celui de voler les travailleurs.
Si le grand public connaissait leur vrai rôle, sûr qu’il irait jusqu’aux portes de la prison médiatique pour exiger leur libération.
Oyez, Oyez braves gens, la triste histoire des vrais héros de la prospérité moderne et des honteuses calomnies dont ils sont victimes.
Pour construire un avion, vous pouvez bien sûr partir de rien.
A mains nues et avec des matières premières brutes (une flaque de pétrole, du sable et des morceaux de métal) vous tentez de construire l’appareil.
Cela risque de prendre du temps, parce que même si vous disposez des connaissances techniques, il va falloir construire de multiples outils pour concevoir, mouler, assembler l’avion.
Et comme vous allez devoir vous nourrir pendant la période de fabrication de l’avion (ben oui ça risque de prendre plus d’une matinée), et donc trouver de la nourriture (à mains nues..), le temps quotidien disponible pour faire un cockpit ou un moteur risque d’être faible, voire inexistant.
Résumons : Vous avez des bras, un cerveau, les connaissances techniques, les matières premières et pourtant vos chances de construire un avion à mains nues sont nulles. Même en 100 ans. Même un petit avion.
Il vous manque des biens de capitaux. (par opposition aux biens de consommation). C’est-à-dire des machines outils, un bureau, des outils, du métal pré moulé, du papier, des crayons etc..
Or les biens de capitaux ne tombent pas du ciel. Ils ont été construit par d’autres hommes qui ont choisi de ne pas consommer immédiatement tout le fruit de leur travail pour le consacrer à fabriquer des outils plus perfectionnés. (Sans que cela soit d’ailleurs forcement une question de mèrite. Renoncer à tout consommer, c’est plus facile lorsqu’on a déjà beaucoup..)
Une constatation s’impose : le capital n’est pas l’ennemi du genre humain. Du moins si l’on veut fabriquer des petits avions, des gros avions, des médicaments, des vêtements, des radiateurs, des maisons, des routes, des bateaux, des ordinateurs, des fromages, des téléphones, des livres, des locomotives, des ampoules, des chaussures…
Les amis du genre humain ont donc tendance à considérer le capital comme bénéfique, du moins ceux qui ne veulent pas voir mourir de faim et de froid leur enfants mignons et innocents aux grands yeux implorants.
Et il se trouve que le droit de propriété favorise l’accumulation de capital. Et il se trouve aussi que le libéralisme défend obstinément le droit de propriété.
De là à dire que les libéraux sont les vrais amis du genre humain, il n’y a même pas un pas et ce n’est donc pas la peine de le franchir.
Il n’aura peut être pas échappé aux lecteurs linguistes distingués que le mot capital et le mot capitalisme ont des airs de famille.
Cette observation est justifiée : capital et capitalisme ont bien un air de famille (quelle lucidité chez mes lecteurs, vais-je être à la hauteur ?). Les mêmes lecteurs auront sans doute remarqué qu’aucune syllabe de capital ne se trouve dans libéralisme.
Mais alors pourquoi associe t-on les deux mots aussi souvent ? Quels sont les liens du capitalisme et du libéralisme ?
En fait, autant la définition du libéralisme est claire et reconnue unanimement (en Europe en tout cas), autant le mot capitalisme recouvre des sens assez différents (entre libéraux et adversaires du libéralisme, mais aussi entre libéraux).
Certains auteurs libéraux américains (Ayn Rand, Friedman) ont en effet utilisé le terme capitalisme en reprenant la définition du libéralisme. Le mot libéral ayant été littéralement vidé de son sens outre-atlantique jusqu’à devenir un synonyme de social-démocratie, voire de socialisme, ces libéraux américains se sont rabattus sur le terme capitalisme…
Cette source inutile de confusion n’est pas le meilleur des idées politiques made in USA.
Une définition plus rigoureuse du capitalisme, c’est : cadre institutionnel permettant l’accumulation de capital.
Dans ces conditions on peut distinguer :
– le capitalisme libéral
Le capital est détenu par les personnes privées qui l’ont acquis grâce à des échanges libres dans le cadre de l’économie de marché.
– le capitalisme de connivence.
Le capital est toujours détenu par des personnes privées, mais son acquisition s’est faite par des privilèges étatiques (réglementations, subventions, corruption, détournements, réserve fractionnaire des banques). Le capital est donc détenu par une oligarchie ayant mis directement ou indirectement la force de l’Etat à son service.
– Le capitalisme d’Etat.
Le capital n’appartient plus désormais à des personnes privées, mais à l’Etat lui-même.
Dans ce cadre, les libéraux défendent le capitalisme libéral (incroyable), et s’opposent au capitalisme de connivence comme au capitalisme d’Etat, enfants honteux ou légitimes de l’étatisme.
Sans nouveau capital, aucune raison pour que la productivité augmente.
Même les révolutions technologiques ont besoin de se matérialiser sous forme d’un nouvel outil de travail. Une idée de silex n’est rien si l’on ne dispose pas de l’épargne pour fabriquer ce silex.
L’épargne est donc la première étape indispensable pour créer (ou entretenir) du capital.
Que vous soyez sur une île déserte, dans la savane préhistorique ou dans une ville du XXI ème siècle, le principe est le même : si à la fin de chaque journée vous consommez l’intégralité du fruit de votre travail, vous vivez au jour le jour sans disposer de réserves vous permettant de survivre pendant la période où vous fabriquerez un nouvel outil de travail.
Sauf à vivre nus dans des cavernes humides, rien ne peut se faire sans d’abord renoncer à consommer l’intégralité du fruit de son travail, rien ne peut se faire sans d’abord épargner.
Le capital c’est donc les objets très divers (usines, bureaux, raffineries, tournevis, camions, stylos, claviers, moissonneuses batteuses, éprouvettes) utilisés pour fabriquer plus vite ou mieux les biens ou les services permettant de ne pas mourir de faim, de froid ou d’ennui.
Le capital, par définition ne nous donne pas en tant que tel une satisfaction immédiate, il est un moyen de fabriquer davantage ou de meilleures satisfactions ultérieures. Certains biens de capitaux ne permettront d’obtenir une satisfaction que dans très longtemps (un centre de recherche et développement pour un nouveau vaccin), d’autres dans moins longtemps (une nouvelle usine pour fabriquer plus vite des vaccins déjà inventés) et d’autres dans des délais assez proches (une simple modernisation d’une usine déjà existante).
Le capital a donc deux caractéristiques capitales (hé, hé hé) : sa diversité et son éloignement temporel par rapport à la production du bien final, le bien de consommation.
Ce qui permet à un entrepreneur de connaître l’éloignement temporel possible d’un nouvel investissement, c’est le niveau d ‘épargne. Plus l’épargne est abondante, plus les investissements peuvent être réalisés sur du capital éloigné temporellement de la production finale. Et le thermomètre de ce niveau d’épargne, ce sont les taux d’interêts.
Imaginez le désastre qui peut se produire lorsque l’on casse ce thermomètre. Euuh en fait, si vous vivez en 2009, vous n’avez pas besoin d’imaginer…
« Dans l’économie de marché, la production est une poursuite continuelle, incessante, répartie en une immense variété de processus partiels. Des procédés de production innombrables, comportant chacun sa durée propre de production, suivent leur cours simultanément.
Les biens de capitaux, comme les biens de consommation, sont donc différenciés. Une moissonneuse batteuse n’est pas identique à une fonderie pour fabriquer le métal de la moissonneuse batteuse.
Ca parait évident comme ça.
Malheureusement, beaucoup de théories macroscopiques utilisent la définition comptable du capital.
C’est-à-dire en gros le prix sur le marché de ce bien de capital.
Et pouf, pouf la moissonneuse batteuse comme la fonderie deviennent équivalentes : un capital de 100 000 euros.
C’est très embêtant parce qu’en dehors du fait qu’une fonderie ne servira à rien dans un champ, même pas à faire peur aux moineaux, la fonderie est un bien de capital beaucoup plus éloigné temporellement de la production finale d’un bien de consommation qu’une moissonneuse batteuse. La fonderie se situe « avant » la moissonneuse batteuse puisque cette dernière va être moulée avec du métal venant la fonderie..
En bâtissant une théorie du capital sans tenir compte de la différenciation des biens de capitaux on perd -entre autres- une information indispensable : le position des biens de capitaux sur un axe temporel, donc la quantité d’épargne nécessaire pour tenter cet investissement.
L’utilisation de ce capital indifférencié dans les modèles macro-économiques est dénoncée avec vigueur par les économistes autrichiens qui ironisent en parlant de capital mythique.
Malheureusement, contrairement aux Dieux de l’Olympe, le capital mythique a encore beaucoup d’Oracles qui sévissent dans les ministères ou les banques centrales…
« Avec tout le respect pour les qualités intellectuelles de mon adversaire, je dois m’opposer avec véhémence à sa doctrine afin de défendre une théorie du capital solide et naturelle contre une mythologie du capital »
Quaterly Journal of Economics Fevrier 1907 – Ev Bohm-Bawerk
Contrairement au capital mythique, -un fond homogène-, la capital réel est une chaîne de biens de capitaux plus ou moins éloignés temporellement (dans le passé) du bien de consommation final.
Pour construire une locomotive à vapeur, il faut :
– d’abord construire des biens de capitaux pour extraire le métal du sol (plusieurs années en amont du premier tchou-tchou de la future locomotive)
– puis fabriquer des biens de capitaux pour fondre ce métal, le mouler
– enfin des biens de capitaux pour assembler la locomotive –quelques mois avant son premier sifflement-
Dans une économie réelle, il y a des millions de processus de production qui existent en parallèle, chaque investissement supplémentaire complexifiant ces processus ou allongeant la période de production.
Naturellement compte tenu de la durée de production, l’environnement ou la demande des consommateurs a le temps de se modifier entre le début de la construction d’un bien de capital et son utilisation effective. Certains biens de capitaux changent ainsi d’utilisation en cours de route -souvent avec un surcoût- d’autres sont purement et simplement abandonnés.
Contrairement à la vision d’un capital mythique complètement horizontal temporellement, le capital réel présente une structure infiniment complexe dont l’un des axes est le temps.
Attention, retenez votre respiration, nous allons dans les grandes profondeurs des évidences :
a) Le temps est inséparable de l’activité humaine. On ne peut rien faire -penser, agir, dormir- sans prendre du temps. (Je vous avais prévenu que nous allions descendre bien profond dans les évidences)
b) Chaque action humaine de production est dirigée vers un objectif. Et comme les actions humaines prennent du temps -voir (a), réaliser un objectif prend du temps. Cette mécanique logique implacable nous amène au troisième point.
c) Toute chose étant égale par ailleurs, nous autres pauvres mortels nous choisiront, en général, la méthode qui consomme le moins de temps possible pour atteindre un objectif.
Entre balayer une pièce avec un balai et balayer une pièce avec une brosse à dent, nous utilisons en général le balai.
Dit autrement, toute chose étant égale par ailleurs, nous préférons en général une satisfaction dans peu de temps (la pièce balayée en 10 minutes) à la même satisfaction ultérieure (la pièce balayée en 3 heures).
Puisque la rapidité à atteindre un objectif a souvent de la valeur, ceux qui veulent atteindre un objectif plus rapidement peuvent vouloir acheter des moyens d’économiser du temps.
Le fait de plutôt préférer une satisfaction maintenant plutôt qu’une satisfaction ultérieure s’appelle la préférence temporelle.
Cette préférence temporelle entraîne le fait que, toute chose étant égale par ailleurs, un bien présent a plus de valeur qu’un bien futur. Le ratio du prix d’un bien futur par rapport à un bien présent s’appelle le taux d’intérêt pur.
Le fait qu’un bien futur ait moins de valeur qu’un bien présent se retrouve dans le calcul économique d’un investissement.
Un investisseur sera prêt à payer une machine de production un prix équivalent aux revenus que cette machine lui rapportera (tous les mois par exemple) durant sa durée de vie. Par exemple si la machine lui rapporte 5 brouzoufs par mois pendant 100 mois, il sait déjà qu’elle lui rapportera 500 brouzoufs au total.
Sans la préférence temporelle, certains biens auraient une valeur infinie. Un lopin de terre va produire du blé pendant de très longues périodes (des millénaires ?). S’il devait valoir la somme de ses revenus futurs, son prix serait infini…
Or on le voit bien, le prix de la terre n’est pas infini.
Son prix n’est pas infini parce que plus les récoltes sont dans un futur lointain, moins elles ont de la valeur. Une récolte dans 200 ans vaut pratiquement zéro pour son acheteur comme pour son vendeur.
L’investisseur utilisera le taux d’intérêt pour vérifier que l’investissement vaut vraiment la peine d’être fait. Les gains dans quelques mois ne valent pas 5 brouzoufs, mais un peu moins : 4,7 puis 4,6 etc… Le revenu total généré par la machine ne sera donc pas de 500 brouzoufs, mais moins, peut être 450. Si l’investisseur achète sa machine 500 brouzoufs, il perdra de l’argent.
Le taux d’intérêt pur -le ratio entre un prix futur et un prix présent- n’est donc que l’expression d’un phénomène parfaitement naturel : toutes choses égales par ailleurs un bien dans le futur a moins de valeur qu’un bien présent. Et plus ce futur est éloigné, moins le bien aura de la valeur.
Le prix aujourd’hui des biens de capitaux est fonction des revenus qu’ils peuvent générer dans le futur.
Par exemple si un bien de capital génère des revenus de 10 pièces d’or par mois pendant une durée de vie de 10 mois.
On voit bien dans ce tableau que lorsque les taux vont de Fort à Faible, le prix des biens de capitaux augmentent mécaniquement.
Et à contrario, on voit bien que lorsque les taux vont de Faible à Fort, les prix des biens de capitaux diminuent mécaniquement.
Cette influence des taux est d’autant plus grande que le bien de capital est éloigné temporellement de la production des biens de consommations.
Le taux d’intérêt joue donc un rôle primordial dans la coordination entre les épargnants, les investisseurs et les producteurs.
Résumons :
– Pour créer de nouveaux biens de capitaux, il faut de l’épargne.
– Ces biens de capitaux ne sont pas homogènes, ils sont plus ou moins éloignés temporellement de la production de nouveaux biens de consommation.
– Ca tombe bien, la préférence temporelle, c’est-à-dire la valeur accordée à un bien présent par rapport à un bien futur est indiquée par le taux d’intérêt pur.
– Grâce aux taux d’intérêts, l’investisseur avisé sur un marché libre pourra donc investir dans des biens de capitaux correspondant aux goûts de la population.
-> Si les taux d’intérêt sont bas, l’épargne sera suffisante pour que l’investisseur puisse allonger ou complexifier la structure de production en fabriquant des biens de capitaux éloignés temporellement des biens de consommation. Ben oui, le public est prêt à troquer des biens présents contre des biens de consommation dans un futur éloigné.
-> Si les taux d’intérêts sont haut, l’épargne n’est pas suffisante et l’investisseur avisé se contentera de maintenir les biens de capitaux fabriquant rapidement des biens de consommations : le public ne veut pas troquer des biens présents contre des biens futurs.
Investir correctement ce n’est pas seulement bien choisir le domaine dans lequel il faut investir :
– Des voitures
– Des vaccins…
C’est aussi bien choisir l’étape temporelle de la structure de production dans laquelle il faut investir :
– Un nouveau centre de recherche, donc très éloigné de la production d’un nouveau bien de consommation
– Ou une nouvelle unité de production pour un produit déjà existant, donc assez proche temporellement de la production d’un nouveau bien de consommation.
Lorsque l’investisseur se plante, c’est-à-dire lorsqu’il n’évalue pas correctement l’étape dans la structure de production dans laquelle il faut investir, c’est un mal-investissement. Un investissement qui gaspille des ressources et détruit de la valeur.
Un mal-investissement correspond donc à la création d’un bien de capital ne répondant pas à la préférence temporelle du grand public, c’est-à-dire au taux d’intérêt ou au niveau d’épargne réel
Par exemple si un investisseur sur-estime l’épargne disponible, il va se lancer dans un projet pharaonique qu’il ne pourra pas terminer ou qu’il terminera au détriment des vrais besoins du public.