Lorsqu’elle s’exerce sur nous, la concurrence est rarement une source de bien-être, du moins sur le moment.
Dans le domaine économique, elle génère une angoisse sourde pour les producteurs (salariés, indépendants, entreprises, actionnaires, épargnants). Est-ce qu’ils ne risquent pas de perdre leur activité demain au profit d’un autre producteur ?
Et cette angoisse s’avère de temps en temps fondée. Avec les conséquences parfois dramatiques que cela implique pour le producteur malheureux.
Les libéraux étant des défenseurs inconditionnels du bien-être (le courage politique, c’est quelque chose tout de même), leur engagement en faveur de la concurrence dans le cadre de l’économie de marché peut sembler paradoxal au gentilhomme pas éclairé.
En premier lieu, pour les libéraux, la concurrence est une conséquence du droit à la liberté. En l’occurrence la liberté de choisir les biens ou les services que les autres peuvent ou non échanger avec nous, la liberté de produire et d’échanger sans demander l’autorisation de corporations, lobbies ou de l’Etat.
D’autre part c’est la concurrence qui a permis d’améliorer de manière spectaculaire notre niveau de vie depuis deux siècles et qui va continuer à le faire dans les siècles prochains.
En dernier lieu, la concurrence ne peut pas s’abolir, la condition humaine génère mécaniquement des compétitions, y compris dans les milieux qui prétendent y échapper. La concurrence libérale, en excluant la violence et en la fondant sur des contrats librement consentis, canalise cette compétition de telle sorte qu’elle bénéficie à tous, y compris aux perdants.
La concurrence est un processus indispensable pour allouer les ressources (le travail ou les matières premières) le moins mal possible compte tenu des souhaits de chaque personne.
Un producteur obligatoire et unique (monopole d’État) n’est pas incité à innover, à améliorer ses méthodes de travail, à écouter les consommateurs puisque ces derniers ne peuvent pas aller voir ailleurs.
Et même s’il le voulait, un producteur centralisé et unique ne pourrait pas connaitre les besoins de chaque personne. Les préférences réelles de chaque personne ne peuvent pas être établies en fonction de ce qu’elles disent, mais en fonction de ce qu’elles font lorsqu’elles sont confrontées à un choix dont elles connaissent et supportent le cout personnellement..
Les producteurs obligatoires et uniques ont donc naturellement tendance à mal servir des besoins qu’ils connaissent mal.
Dans une économie socialiste pure, où tous les producteurs sont obligatoires et uniques, la pénurie et la médiocrité des produits est générale.
Dans une économie libérale au contraire, les producteurs dont les produits ou les services ne sont pas retenus doivent réorienter leur production ou leur méthode de production pour répondre à la demande des consommateurs.
Et c’est cette adaptation continuelle qui est la source de notre prospérité.
La concurrence économique est victime d’un contresens à cause de sa proximité avec une compétition sportive ou un concours de beauté.
L’objet de ce dernier est de déterminer quelle Miss est la plus belle. Pour que la compétition des Miss soit juste, il faut égaliser les chances de départ (même taille de bikini, même temps de parole pour sortir des fadaises.)
L’objet de la concurrence économique est d’adapter la production aux choix des consommateurs. Il ne s’agit pas de déterminer qui est le plus beau producteur ou le plus méritant.
Les imprimeurs -même négligents- de Gutenberg ont mis sur la paille le plus méticuleux et le plus talentueux des moines copistes. L’objet de la concurrence économique n’est pas de récompenser le mérite, elle a simplement pour but de favoriser les producteurs capables de répondre à la demande.
Pour que la concurrence économique produise ses bienfaits, il est donc inutile, voire nocif d’égaliser les conditions entre producteurs. Les consommateurs profitent de la diffusion des livres, mêmes si les imprimeurs sans talent ont exploité une supériorité technique.
Cela n’empêche naturellement pas certains dirigistes étatistes, conservateurs ou socialistes, de vouloir périodiquement égaliser les conditions de la concurrence. (avantager certaines entreprises menacées par la concurrence, octroyer des subventions à certaines plutôt qu’à d’autres.)
Ils se heurtent à leur mur habituel : la complexité de la société. Il y a des millions de paramètres qui différencient les conditions de départ des entreprises. Même en se donnant beaucoup de mal, ils ne pourront en égaliser que quelques unes. En commettant au passage des injustices vis-à-vis des producteurs concernés par les millions d’autres paramètres et vis-à-vis de l’ensemble des consommateurs
Égaliser les conditions de la concurrence économique, c’est comme essayer d’aplanir l’océan avec une raquette de ping pong. En plus d’être un objectif complètement idiot, c’est très difficile à réussir même en se donnant beaucoup de mal.
Malgré son efficacité pour évincer la misère, la concurrence économique est contestée sur deux plans, sur un plan moral/sentimental et sur un plan d’efficacité économique.
Sur le plan moral, la sentence des étatistes est sans appel : « La concurrence économique, c’est la guerre de tous contre tous ».
Or chacun sait que faire la guerre c’est pas bien, et que c’est le contraire de faire l’amour, qui est très bien. Cet argument de fond donne immédiatement aux humanistes et aux obsédés sexuels l’envie de lever l’étendard de l’antilibéralisme.
Qu’ils ne se laissent pas manipuler par les Étatistes dirigistes ! On peut très bien être humaniste, obsédé sexuel ET libéral.
D’abord, la concurrence économique dans un État de droit, c’est le contraire de la guerre. La concurrence économique, c’est aussi pacifiste que Bob Marley après le huitième joint. Jamais de coercition. -contrairement aux monopoles obligatoires d’État, où un homme en uniforme et armé vient vous voir si vous refusez de payer ou si vous essayez de produire mieux ou moins cher.- (enfin d’abord, un homme en uniforme et sans arme : le facteur avec une lettre recommandée..)
Certes, la concurrence n’abolit pas la bêtise ni la méchanceté. Mais il vaut mieux avoir à faire aux imbéciles dans un contexte concurrentiel que lorsque ces derniers sont les seuls points d’entrée d’un monopole obligatoire.
Ensuite, même si la concurrence est un processus important du marché, l’immense partie du temps de travail est consacré à la coopération. Coopération pour fabriquer des voitures, du pain, des vaccins ou des vols intercontinentaux.
Si un extraterrestre observait de son télescope les relations entre personnes vivant en économie de marché, il verrait une immense chaîne de coopération, partant d’un ouvrier allemand produisant une machine outil pour un artisan américain fabriquant des boussoles pour un marin russe transportant des chemises chinoises pour un fermier argentin élevant des vaches pour nourrir un ingénieur australien concevant des fibres optiques pour un prof d’université taiwanais écrivant des cours pour ….
Et si un alter mondialiste lui expliquait alors que cette chaîne immense de coopération, c’est la guerre de tous contre tous, l’extraterrestre se dirait sans doute, que décidément la logique de ces terriens à poils longs et pin’s rouges est assez déconcertante.
Sur le plan de l’efficacité, les critiques les plus vives de la concurrence s’appuient, paradoxalement, sur une école de pensée largement libérale : les néoclassiques.
Pour les néoclassiques, la concurrence économique est un bienfait (c’est vrai), il s’agit de déterminer les critères de son existence et de son bon fonctionnement (c’est ambitieux) en utilisant les mathématiques (c’est très mal barré).
ll y a 150 ans, l’école néoclassique a donc défini les critères permettant à la concurrence économique de fonctionner de manière optimale.
– En premier lieu, pour que la concurrence économique soit parfaite, il faut d’abord qu’elle existe, c’est-à-dire qu’il existe plusieurs producteurs offrant les mêmes produits.
– Et une fois qu’elle existe, il faut que l’information sur les produits et les biens échangés soit parfaite, sinon les échanges effectués ne sont pas satisfaisants.
– Et enfin, la concurrence économique ne peut être efficace, que si tous les coûts des produits sont intégrés dans la production des biens ou des services. Or certains coûts sont difficiles à mesurer et à intégrer : l’émission de CO2, la pollution d’une rivière etc.. Ces coûts cachés faussent là aussi l’échange.
Les étatistes dirigistes se sont engouffrés dans ces définitions pour clamer que la concurrence ne pouvait pas marcher puisqu’elle n’était pas parfaite.
Et de proposer leur solution miracle : un Etat Dieu, omniscient, omnipotent et parfait pour remplacer la concurrence.
Pour les libéraux de l’école autrichienne, la concurrence économique parfaite des néoclassiques est une chimère mathématique basée de surcroit sur une mauvaise compréhension des mécanismes de marché. Et l’Etat n’étant ni un Dieu, ni omniscient, ni omnipotent, les morceaux de sparadrap que les étatistes proposent de poser sur la concurrence économique réelle sont rarement nécessaires et souvent nocifs.
Pour les libéraux de l’école autrichienne, la concurrence existe dès lors que l’entrée sur le marché est libre.
L’existence de la concurrence n’est donc pas dépendante du nombre de producteurs sur un marché donné à un instant donné, mais de l’absence de coercition (qu’elle soit étatique ou criminelle) destinée à interdire l’accès de ce marché à de nouveaux producteurs.
La concurrence n’est pas donc une situation statique idéale, mais un processus continu.
Suivant cette définition, un producteur peut donc être unique sur un marché sans constituer pour autant un monopole.
De fait d’ailleurs, notre économie est constituée d’une myriade de producteurs uniques sur des niches, et ne s’en porte pas plus mal.
Votre boulanger au coin de la rue est le producteur unique de pain du coin de cette rue, votre chanteuse de variété préféré est le producteur unique de sa voix ou de son déhanché, ce qui lui permet d’ailleurs de vendre mieux ses disques qu’une autre chanteuse, une entreprise de produits électroniques développant un appareil ultracool pour écouter votre chanteur préféré, est le producteur unique du produit ultracool, une entreprise pharmaceutique qui développe un nouveau médicament, est le producteur unique de ce médicament.
Vous êtes à votre poste de travail, probablement un producteur unique, étant sans doute le seul à maîtriser les connaissances spécifiques à ce poste de travail dans cette entreprise à ce moment donné.
Les seuls vrais monopoles sont donc les producteurs étatiques uniques et obligatoires….
C’était d’ailleurs la définition originale des monopoles au XIX éme siècle avant qu’elle ne dérive sous l’influence des néoclassiques et des socialistes.
Les monopoles sont, dit naturels, lorsque, en général, le coût d’entrée pour les nouveaux producteurs est tellement élevé que ces derniers renoncent avant d’avoir essayé. Les producteurs en place devenant de facto des producteurs uniques ‘durables’.
Par exemple, pour concurrencer une ligne de métro déjà établie, il faudrait creuser un tunnel parallèle au premier, pour un coût colossal (et une absurdité criante).
Pour les libéraux, le coût d’entrée est un phénomène utile dans le marché puisqu’il décourage les personnes d’investir trop lourdement dans des infrastructures déjà présentes. Ce coût d’entrée est présent dans toutes les activités, de manière moins visible qu’un tunnel creusé en double, mais il y joue le même rôle bénéfique.
Même dans cette situation pouvant être inconfortable pour le consommateur, l’intervention de l’Etat n’est pas forcement utile.
Les USA au XIX éme se sont bien couverts de voies ferrées privées, donc détenues par des producteurs uniques sur chaque tronçon, pour le plus grand bénéfice des consommateurs, la preuve : Blueberry, LuckyLucke, les bleus et John Wayne les utilisent souvent.
Ces voies ferrées sont de toute manière en concurrence avec la diligence, les bateaux et le cheval, la preuve : Blueberry et LuckyLucke, les bleus et John Wayne les utilisent souvent.
Les étatistes oscillent entre deux obsessions suivant le calendrier lunaire et la course des étoiles : structurer le marché pour aider les consommateurs contre les producteurs ou structurer le marché pour aider les producteurs contre les consommateurs.
Cette attitude s’apparentant de fait à creuser des trous pour mieux les reboucher après, elle permet surtout, de promesses électorales en accord secret, d’empiler des politiques contradictoires pour le plus grand bonheur des éditeurs de livres de droit.
Favoriser les consommateurs aux dépends des producteurs est d’abord une idée saugrenue (comme son contraire d’ailleurs), les deux étant souvent une seule et même personne. ‘Le consommateur est roi’ n’est ni juste moralement, ni exact en pratique.
Il y a beaucoup mieux: des personnes libres (parfois consommatrices parfois productrices), dont les droits fondamentaux et le respect des contrats signés sont garantis par l’Etat.
Avant de monter des usines à gaz afin de tenter de structurer le marché en faveur des consommateurs, l’Etat pourrait aider les personnes libres
– en améliorant la protection des droits de la propriété et du respect des contrats y compris pour les petits montants -que ces personnes soient seules ou s’associant en groupes de consommateurs. (Class Action)-.
– en ne favoriserant pas certaines personnes (agriculteurs, libraires, producteurs de vêtements, taxis, pompes funèbres..) au détriment d’autres personnes (les mangeurs, les lecteurs, les textiles, les petits voyageurs, les morts)
Son intervention est aussi possible (mais pas forcément indispensable) pour édicter des normes (sécurité/qualité/environnementale/bonnes pratiques de SAV etc..) permettant de consommer sans laboratoire d’analyse biologique et sans encyclopédie de droit dans son salon.
Ces objectifs sont certes moins ambitieux et moins liberticides que le défi constructiviste de structurer le marché, mais ils ont le mérite d’être efficaces et égalitaires. Oui on sait.. sacrifier les coups de mentons, le dirigisme et les petites magouilles entre lobbies pour des trucs efficaces et égalitaires, ces ultra-néo-libéraux n’ont vraiment aucune notion du bien public