L’information


Sur le podium des défaillances officielles du marché, la deuxième marche  est  occupée par l’information, ou plutôt l’asymétrie d’information.

Selon le modèle néoclassique, pour que l’échange entre deux personnes libres soit bénéfique, encore faut-il que celles-ci soient parfaitement informées sur ce qu’elles échangent.

Or ce n’est pas toujours le cas.

Un vendeur d’une voiture d’occasion sait si la voiture qu’il vous vend a été utilisée par un octogénaire soigneux ou par un petit con frimeur de 18 ans. Vous non.

Vous savez si le travail urgent que vous a demandé votre chef va vous prendre 8 heures de travail intense ou 4 heures de travail tranquille et 4 heures de pause café. Votre chef, non.

Votre agence de voyage sait avant votre départ s’il y a un dépotoir juste à côté de l’hôtel de rêve près de Dubrovnik. Vous non.

Cette asymétrie d’information peut donc provoquer des échanges qui n’auraient pas du avoir lieu au détriment d’autres échanges satisfaisants pour les deux parties.

Et comme les échanges libres sont au cœur de la théorie libérale, si ces derniers ne sont pas efficaces, le libéralisme économique va s’effondrer inéluctablement au moment de même de son envol, au début du 19 eme siècle.

2008, et toujours rien.. Caramba, les personnes libres auraient inventé des stratégies pour pallier à l’asymétrie d’information sans demander l’autorisation des économistes néoclassiques ?

« Un caractère particulier du problème de l’ordre économique rationnel est précisément lié au fait que la connaissance de l’environnement dont nous pourrions avoir besoin n’existe jamais sous une forme concentrée ou agrégée, mais uniquement sous la forme d’éléments dispersés d’une connaissance incomplète et fréquemment contradictoire que tous les individus séparés possèdent en partie.

…/….

Il s’agit au contraire d’obtenir la meilleure utilisation possible de ressources que connaît n’importe lequel des membres de la société, à des fins dont l’importance relative est connue de ces individus et d’eux seuls. Ou, pour résumer ceci, il s’agit d’un problème d’utilisation de la connaissance, laquelle n’est donnée à personne dans sa totalité. « 
F. Hayek – « L’utilisation de l’information dans la société »

 


Comme Matrix,  une partie de  la recherche en économie théorique porte actuellement sur l’information.

En 1937  Hayek publie « Economie et Connaissance » où il explique que la dispersion de la connaissance dans le corps social empêche toute planification de l’économie.

La même année, R Coase avec « The Nature of the Firm » explique que la dispersion de l’information augmente les coûts de transaction à un niveau rendant inéductable au sein même de l’économie de marché l’apparition d’organisations rigides et planificatrices (les firmes).

C’est le point de départ d’une imposante littérature universitaire.

Comme dans Matrix, on ne comprend pas toujours qui est qui, et ce qu’il fait.
Les néoclassiques s’éloignent de leur modèle de base (information parfaite, rationalité parfaite) avec des morceaux piqués aux néoinstitutionnalistes (rationalité limité, coûts de transaction, institutions formelles prépondérantes dans la diminution des coûts), morceaux recouvrant une partie des concepts de l’école autrichienne (individu plutôt qu’agrégat, subjectivité rationnelle, institutions évoluant sans être planifiées) qui elle-même partage des conclusions avec l’école de Chicago (Etat incapable d’aider à diffuser l’information) alors que cette dernière est assez proche sur le plan méthodologique des néo-keynésiens (formalisme mathématique, agrégats).

Comme dans Matrix, ça canarde avec enthousiasme sans aucune considération sur la quantité de munitions tirées, ni la précision des tirs.
Les articles universitaires sur l’information, les transactions optimales et les institutions ont depuis un demi-siècle largement contribué à détruire nos belles forêts. Les publications sont tirées avec frénésie  dans une fumée devenant de plus en plus épaisse. Qu’est-ce que c’est qu’une information ? un coût de transaction ? la connaissance par rapport à l’information ? la rationalité limitée ? subjective ?

Comme dans Matrix, ça touche rarement les tireurs, mais ça massacre le décor qui a la malchance de se trouver dans les lignes de tir.
Mais contrairement à Matrix, chez les économistes, le décor n’est pas virtuel. C’est l’économie réelle. Ces belles batailles rangées provoquent souvent des dégâts par l’intermédiaire des politiques économiques implémentées.


La valeur de la connaissance


En fait, pour l’école autrichienne (et d’autres..) la problématique de l’information parfaite a été mal posé par les néoclassiques.

Simplement parce que l’information a en elle-même une valeur, un coût pour être découverte, éventuellement un prix lorsqu’elle peut être échangée et nécessite des connaissances propres à chaque personne pour être exploitée correctement.

Comme pour la concurrence, l’information n’est donc pas une sorte de dallage préexistant pour qu’un marché ‘parfait’ puisse fonctionner. Dallage que l’Etat serait chargé de fabriquer ou de corriger en cas d’imperfections.

La découverte, l’acquisition, l’utilisation, la circulation de l’information est un processus à part entière dans un échange libre.
Et de surcroît, l’information n’est rien sans la connaissance, c’est-à-dire la capacité de chaque personne à percevoir l’information et à l’analyser.

Cette vision de l’information au sein du marché a ouvert un vaste champ d’étude en économie théorique.

La théorie du principal/agent s’est intéressée au coût supplémentaire induit par l’asymétrie de l’information sur chaque échange (recherche sur la fiabilité du vendeur, temps passé à contractualiser pour parer aux conflits potentiels futurs). C’est le coût de transaction.

L’école autrichienne s’est intéressée au rôle moteur de ceux qui découvrent de nouvelles informations pour produire ou échanger : les entrepreneurs.

« Le marché, en d’autres termes, n’est pas seulement un processus où l’on recherche une information dont on sait déjà qu’on en aura besoin ; c’est une procédure de découverte qui tend à corriger l’ignorance là où l’inventeur lui-même n’avait aucune idée qu’il était ignorant.

Comprendre que le marché crée l’information — le genre d’information dont les gens ne savent pas maintenant qu’ils auront à s’en servir demain — devrait inspirer un sentiment certain d’humilité aux candidats à l’ingénierie sociale qui cherchent à remplacer ou à modifier les résultats du marché libre.
Pour annoncer qu’on est capable de surenchérir sur l’efficacité du marché, il faudrait aussi pouvoir prétendre qu’on sait déjà aujourd’hui ce que le marché fera apparaître demain. Cette prétention de savoir est, à l’évidence, universellement vaine. En fait, là où l’on a empêché le marché de fonctionner, en général il ne sera pas possible de désigner avec certitude ce qu’on aurait pu découvrir et qu’on a perdu à jamais. »
Kizner – La régulation

 

James Bond est bien placé pour le savoir : acquérir de l’information à un coût, découvrir cette information nécessite des connaissances parfois difficilement formulables.

Faut-il vraiment se lancer dans le vide pour planer jusqu’à l’avion en feu afin de récupérer le code secret nucléaire ?

Faut-il vraiment faire l’amour avec la superbe méchante au corps de rêve pour obtenir la date et l’heure du trafic de poison radioactif ?

Faut-il vraiment casser une Aston Martin pour rattraper le sbire connaissant la localisation du repaire du diabolique Dr SuperMéchant ?

Pour James Bond, ces informations ont un coût, en temps, en énergie et en bisous.

Et Dieu Merci pour le monde libre (et la Reine), James Bond considère que ces coûts sont acceptables pour l’acquisition de ces informations.

Comme James Bond, nous sommes quotidiennement confrontés au coût de l’information.

Faut-il vraiment passer trois heures sur Internet le samedi pour connaître le prix d’une étagère Ikea d’occasion ?

Faut-il vraiment passer six heures pour comparer les clauses écrites en tout petit entre deux contrats d’assurance ?

Faut-il vraiment faire trois supermarchés pour comparer le prix au kilo des tomates sans goût ?

Mais contrairement à James Bond, nous choisissons parfois de ne pas effectuer cette dépense supplémentaire.
A juste titre… chaque décision pourrait potentiellement prendre un temps infini pour un gain faible.

James Bond peut donc aller se rhabiller avec son absence d’évaluation des coûts d’acquisition d’informations, ce gros malin serait du genre à passer 3 heures dans les embouteillages pour économiser trois euros sur le prix d’une chasse d’eau.

Nous pas.

Le principal et l’agent

L’information imparfaite, c’est comme la pluie en automne ou le soleil en août. On ne peut donc pas y échapper.

Initiée par R. Coase en 1937, la théorie du principal/agent s’est intéressée  aux stratégies que les personnes libres inventent (ou pourraient inventer) pour échanger en limitant les risques.

Coase a donc imaginé deux créatures qu’il aurait pu appeler Bobo et Baba, mais qu’il a finalement appelées Principal et Agent parce que dans le monde universitaire on ne rigole pas avec le nom des théories si l’on vu être lu et respecté.

Bref Principal c’est celui qui doit acheter sans avoir toutes les informations nécessaires et Agent, c’est celui qui veut vendre en ayant la possibilité de cacher des informations (un vendeur de voitures d’occasion), voir de changer de comportement une fois le contrat signé: (un salarié par exemple)

Pour que ce modèle soit un modèle, Coase a retiré de sa théorie tout ce qui était trop compliqué et qui fait le charme de nous autres les êtres humains : les sentiments, l’honneur, les pulsions qui vont rougir, l’envie d’être aimé même par des inconnus, l’éducation de papa et maman, la croyance qu’un barbu nous regarde méchamment depuis un nuage, la peur d’un cachot etc..

Puis il a joué avec ses deux playmobils en imaginant comment ils pouvaient tout de même échanger.

Cela a donné une bonne nouvelle : Bobo et Baba peuvent tout de même échanger en s’appuyant sur leur réputation ou inventant des incitations pour que leurs intérêts coïncident, même après le contrat signé (des primes pour un salarié ou une garantie pour un produit)

Et une mauvaise : Toutes ces stratégies ont un cout : le cout de transaction (temps passé à rédiger le contrat prévoyant les résolutions de conflits ou à se renseigner sur la réputation) Cout qui est parfois tellement élevé que l’échange n’a pas lieu.

Ces éclairages intéressants, mais ils se heurtent aussi aux limites de la modélisation des acteurs : une personne libre et sa culture sont infiniment plus complexes que l’agent et son milieu blanc uniforme.

« L’économie étudie les actions réelles d’hommes réels. Ses théorèmes ne se réfèrent ni à l’homme idéal ni à des hommes parfaits, et pas davantage au mythique homme économique (homo oeconomicus) ni à la notion statistique de l’homme moyen. »
Mises, L’action humaine


La théorie des jeux appartient à l’univers des théories principal/agent.

Le plus célèbre exemple de la théorie des jeux est le dilemme du prisonnier.

Deux complices sont arrêtés pour une affaire de cambriolage. Ils sont interrogés séparément par la police sans avoir pu communiquer.

Si l’un d’entre eux dénonce l’autre sans que ce dernier fasse de même, celui qui a dénoncé écope de la peine minimale (2 ans), tandis que celui n’a pas dénoncé écope de la peine maximale (8 ans).
Si les deux se taisent, ils sont libres.
Si les deux se dénoncent, ils écopent tous les deux de la peine de 4 ans.

Les criminels ont intérêt à dénoncer l’autre (avec à la clef une condamnation importante) plutôt que de prendre le risque de se faire dénoncer seul.

Les étatistes jubilent : à cause d’une information incorrecte (entre les criminels donc), la situation optimale (du point de vue des criminels) n’est pas atteinte.
C’est la preuve qu’il faut réguler l’économie.

Oui, sauf que les créatures unidimensionnelles utilisées par les micro-économistes ne modélisent pas des ‘petits’ détails : la confiance, la réputation, le fait que les prisonniers vont se revoir, un code d’honneur, l’amitié, la culture, le passé. Bref tout ce qui fait la différence entre une personne libre et un agent.

Sauf que ces prisonniers n’ont pas, par définition, la possibilité de passer des contrats garantis par un Etat de Droit, une des briques fondamentales du libéralisme.

Sauf que même en restant dans le cadre étriqué de ce modèle, ils n’ont en rien démontré qu’une solution plus optimale pourrait sortir d’un Etat et du dirigisme.
Surtout d’un Etat conçu, et dirigé par ces agents suspendus dans le vide.

Les théories du principal/Agent, la théorie des jeux, sont intéressantes sur beaucoup d’aspects, mais les mafias peuvent dormir tranquilles, elles peuvent prospérer même sans un Etat pour réguler leur activités.

Les personnes libres et honnêtes aussi.

La réputation


Face à l’information imparfaite, les personnes libres trouvent et utilisent des stratégies soit pour diminuer l’imperfection de l’information, soit pour en limiter les conséquences potentielles.

Les stratégies inventoriées par la théorie du principal/agent pour que l’acheteur ne soit pas le dindon de la farce à chaque échange sont parfois classées en deux catégories :
La réputation du vendeur (les expériences passées, le bouche à oreille, les labels, les comparatifs, la publicité)
Les incitations faisant coïncider les intérêts de l’acheteur et du vendeur (les intéressements au résultat de l’entreprise, les garanties sur les produits vendus etc..)

Cette liste n’est pas limitative. Elle oublie notamment les valeurs morales et culturelles que beaucoup de personnes libres respectent et qui les poussent à ne pas abuser de la confiance des autres.

Cette liste n’est pas figée. Elle évolue aussi en permanence avec l’imagination de millions de personnes libres et l’apparition de nouvelles technologies.

Ces méthodes sont bien sûr imparfaites, mais il n’existe pas dans ce monde de Dieu omniscient et bon, même répondant au doux nom de ‘Etat’, disposant de cette information parfaite et pouvant la distribuer aux humbles mortels (pardon aux humbles citoyens.).


« Une idée fausse largement répandue est qu’une publicité habile peut persuader les acheteurs d’acheter tout ce que l’annonceur désire qu’ils achètent. Le consommateur, selon cette légende, est tout bonnement désarmé devant la publicité « à haute pression ».
Si cela était vrai, le succès ou l’échec en affaires dépendrait seulement de la façon dont est faite la publicité. Pourtant personne ne croit qu’à force de publicité, de quelque nature qu’elle soit, les fabricants de chandelles eussent pu conserver le terrain contre l’ampoule électrique, les cochers contre les autos, la plume d’oie contre la plume d’acier et plus tard contre le porte-plume réservoir.
Or quiconque admet cela, admet implicitement que la qualité de l’article recommandé par la publicité joue un rôle décisif dans le succès d’une campagne de publicité. Donc il n’y a pas de raison de soutenir que la publicité soit une façon de duper un public crédule. »
Mises, L’action humaine

La réputation est donc l’une des méthodes utilisées par les personnes libres pour limiter le risque du à l’asymétrie d’information.

Cette tendance n’a naturellement pas échappé à des entreprises très très malignes considérant que pour entendre du bien de soi, il valait mieux compter sur soi-même que sur les autres.

La pub est née, et elle casse parfois les oreilles, les yeux et les neurones à beaucoup de personnes.

Et malheureusement, sauf à imposer une dictature par les personnes de bon goût, la liberté d’expression donne le droit de dire des bêtises (le droit mais pas le devoir), y compris des bêtises intéressées.
Les slogans vulgaires ou phagocytant des valeurs nobles, les affiches criardes ou les pubs tonitruantes peuvent donc être déplaisantes pour tout gentilhomme esthète du XXI éme siècle.

Cela étant la liberté  donne aux personnes libres le droit (mais pas le devoir) de ne pas tenir compte des bêtises affichées sur les murs ou chantées à la radio.

C’est d’ailleurs largement ce qu’elles font, le lancement d’un produit ou d’un film étant très loin d’être une science exacte.
Et puis le gentilhomme libéral peut se consoler en trouvant quelques effets positifs à la pub :

– Elle permet parfois d’identifier les entreprises assez sûres de leur produit pour le dire tout fort.
– Elle permet parfois de découvrir un produit auquel on n’avait pas pensé soi-même.
– Elle permet de voir des jolies filles en bikini les petits matins gris d’hiver alors que la Copacabana est à 15 000 km de la station de métro.

La réglementation

L’intervention de l’Etat pour imposer un niveau d’information minimum avant d’autoriser un échange (étiquetage, normes obligatoires) est possible, parfois utile.

Mais le fait que l’Etat impose une stratégie pour réduire l’asymétrie d’information n’abolit pas magiquement les coûts liés à la collecte de l’information.

La collecte, la diffusion et l’analyse des informations ont toujours un coût (porté par le producteur, donc au final par le consommateur)

Et le périmètre de l’information obligatoire n’est pas forcément le plus adapté pour aider aux décisions des personnes libres.

L’Etat en effet ne connait pas forcement les informations pertinentes nécessaire à chaque échange, d’autant qu’il devient vite une cible de lobbies ayant eux des idées très précises sur les informations qu’ils ne veulent pas diffuser.

D’autre part, chaque personne a des idées différentes sur les informations nécessaires à un échange. Par définition l’Etat n’en rend obligatoire que certaines, pas forcement celles dont une personne en particulier a besoin. (Par contre, comme celles de l’Etat sont obligatoires, cette personne en supportera le cout de toute manière.)

Enfin et surtout, l’Etat très vite réglemente sur tout et son contraire, au grès des titres du 20 heures ou de l’influence de lobbies. Cette avalanche de règlements mal pensés à un coût considérable. (Coût plus facilement gérable dans une grande multinationale disposant d’un département juridique que dans une PME ou chez un artisan.)

Les ministres et leur bombardement lourd réglementaire permanent créent donc de la pauvreté pour tout le monde et favorisent les grandes entreprises par rapport aux petites. Mais bon, le jeu en vaut la chandelle : on parle des étatistes au journal TV.

« Même si on juge que les résultats actuels du marché sont pour une raison ou pour une autre insatisfaisants, on ne peut pas juger que l’intervention, et même une intervention qui pourrait atteindre avec succès ses objectifs immédiats, soit à l’évidence la solution correcte.

Après tout, les problèmes même qui apparaissent dans le marché peuvent déclencher des processus de découverte et de correction supérieurs à ceux qui sont délibérément engagés par l’intervention publique. Non seulement l’intervention délibérée des hommes de l’Etat peut être un mauvais substitut au processus spontané de découverte par le marché, mais elle a aussi bien des chances d’empêcher la mise en oeuvre de processus de recherche désirables dont ils n’ont pas perçu la nécessité. « 
Kizner – La régulation
« Le nombre de lois votées s’est accru de 35% en 30 ans, celui des decrets de 25%. Le nombre de pages du journal officiel a doublé en 15 ans. Le stock actuel des normes serait de 8000 lois et 400 000 textes réglementaires. »
Rapport du conseil d’Etat – 1991
« Suivant l’appréciation qui en a été faite par l’OCDE, les formalités administratives imposées aux entreprises européennes representaient en 1997, 3 à 4% du PIB, soit pour la France l’équivalent du produit de l’impôt sur les sociétés. »
Rapport du groupe de travail interministeriel sur la qualité de la réglementation
Dieudonné Mandelkern

 

Votre PC est une usine à gaz. (Votre Mac aussi d’ailleurs, si, si, même si il est très beau.)

De la dernière carte graphique vibraStroupmph à triple stroumph cadencé, à la carte mère Perfomator2X3400 à multistroumph bi-bande, vous ne disposez que d’une infime partie des informations nécessaires à  l’évaluation du PC avant de l’acheter et vous n’auriez sans doute pas les connaissances nécessaires pour comprendre ces informations.

Cette asymétrie d’information n’empêche pourtant pas des millions de personnes libres de faire des échanges de PC contre des euros avec en général une certaine satisfaction. (et quelques après midis à enrager pour trouver le bon driver)

Si pour palier à une information imparfaite, l’Etat se mettait en tète d’édicter des normes d’information obligatoires sur les ordinateurs, en plus d’être obsolètes avant même d’être émises, elles ne conviendraient pas à chaque personne. (Le gamer, le comptable, le photographe).

Elles auraient donc un cout pour être édictées, contrôlées, diffusées sans pour autant améliorer le moins du monde le ‘marché’ du PC. (ou du Mac, mais le Mac c’est normal, il est super cool).

De plus, comme dans d’autres domaines, ces normes une fois émises seraient rarement toilettées et deviendraient rapidement des strates fossilisées complètement inadaptées aux évolutions technologiques.

On retrouve ce phénomène moins criant pour beaucoup d’autres catégories d’échanges (Construction, Sécurité etc..)

Même si elle est parfois utile, la réglementation Etatique n’est en aucun cas une solution miracle pour pallier l’asymétrie d’information. Et ses contraintes particulières génèrent même parfois (souvent ?) plus d’effets pervers que d’effets bénéfiques.

L’entrepreneur


L’imperfection de l’information économique, comme pour l’imperfection de l’information scientifique, créée donc des opportunités de découvertes soit de nouvelles informations, soit de méthodes pour pallier à l’imperfection de l’information.

Cette fonction, qui est celle de l’inventeur ou du chercheur dans les sciences de la nature est occupée par l’entrepreneur dans la sphère économique.

Dans ce contexte, l’entrepreneur n’est pas un jeune cadre dynamique au sourire beat entrain de sautiller devant une tour en verre pour vendre de la mousse à raser.

C’est une fonction que nous utilisons tous -plus ou moins- et qui est le moteur du progrès économique.

Elle consiste à imaginer des nouvelles productions, à imaginer de nouvelles manières de produire ou d’échanger et à imaginer de nouvelles manières de consommer.

La personne, qu’elle soit productrice ou consommatrice, en s’appuyant sur des informations éparses, ses connaissances propres et son flair tente d’imaginer des méthodes plus efficaces pour produire ou utiliser la production.

Et l’un de ses indicateurs dont elle dispose pour évaluer la réussite de sa tentative est le profit généré par cette nouvelle activité.

Cette fonction, dont l’importance est cruciale pour le progrès économique, est pourtant totalement absente sous une forme ou sous une autre de beaucoup d’écoles économiques. Forcement ces dernières ont besoin d’un univers statique, fini ou l’information présente, future est figée pour que leurs modèles fonctionnent. L’entrepreneur fait un peu tache dans cette nature morte pas franchement réaliste.

L’Ecole Autrichienne dont l’univers modélisé est ouvert et en déséquilibre réserve par contre une place de choix à cet entrepreneur imprévisible.

« Dans la construction imaginaire de l’économie en régime constant, il n’y a pas de place réservée à l’activité d’entrepreneur, parce que cette construction élimine tous changements de données qui pourraient affecter les prix.

 

Dès que l’on abandonne cette supposition de la rigidité des données, l’on voit que l’action doit forcément être affectée par tout changement dans les données. Comme l’action tend nécessairement à influer sur un état de choses futur — même si c’est parfois le futur immédiat de l’instant suivant — elle est affectée par tout changement de données inadéquatement prévu qui intervient dans le laps de temps entre le début de l’action et la fin de la période pour laquelle elle entendait pourvoir.
 
Ainsi le résultat de l’action est toujours incertain. Agir est toujours une spéculation. Cela vaut non seulement pour ce qui concerne une économie de marché, mais tout autant pour Robinson Crusoé l’imaginaire acteur isolé, et dans les conditions d’une économie socialiste. Dans la construction imaginaire d’un système en régime constant, personne n’est entrepreneur ni spéculateur. Dans toute économie vivante et réelle, tout acteur est toujours un entrepreneur et un spéculateur ; les personnes à charge des acteurs — les membres mineurs de la famille dans la société de marché, et les masses dans une société socialiste — sont affectées par le résultat de la spéculation des acteurs, bien qu’elle ne soient elles-mêmes ni acteurs ni spéculateurs. »
 
Mises, L’action humaine

 

Observer, s’inspirer des créations précédentes, rassembler des éléments existant que personne n’avait eu l’idée de rassembler auparavant, s’appuyer sur son intuition pour créer des idées ou des objets nouveaux, échouer 100 fois, tenter 101 fois sont des activités que partagent l’artiste, l’inventeur ou l’entrepreneur.

Malheureusement des trois, il y a en a un qui n’a pas de chance sur la manière dont les théoriciens de son activité appréhendent son travail.

Même après 6 rails de coke, il n’y a pas un critique de cinéma qui parlerait des films sans parler des cinéastes. Les films ne sont pas une masse indistincte qui tombe du ciel sans volonté humaine pour les concevoir.
Beaucoup d’économistes font ça à leurs artistes.

Même après 8 cocktails champagne-vodka, il n’y a pas une chroniqueuse de mode qui prédirait la forme des chaussures dans cinq ans. La mode est incertaine parce que c’est justement le métier des créateurs de mode d’imaginer des nouvelles tendances.
Beaucoup d’économistes font ça à leurs artistes.

Même après 10 gobelets de café sans sucre, il n’y a pas un historien de l’art qui expliquerait que la peinture est univers clos, stable, à périmètre constant. Botticelli a inventé une vision que n’avait pas Giotto qui lui-même a créé une technique que n’avait etc..
Beaucoup d’économistes font ça à leurs artistes.

Même après 12 pilules d’antidépresseur, il n’y a pas un critique littéraire qui prétendrait juger de la santé ‘littéraire’ d’un pays en aggregeant des données dont le seul mérite est d’être mesurable (le nombre de voyelles, de pages, les kg de chaque roman). Beaucoup d’économistes font ça à leurs artistes.

Même après 14 buvards de LSD, il n’y a pas un groupie de musique planante qui tenterait de définir son trip en faisant des dérivées secondes sur les variations du volume sonore. Pink Floyd ouvre des nouveaux horizons cosmiques multicolores (multicolores comme les éléphants nains qui volent dans la véranda lorsque les deux lunes vertes font une éclipse totale de supernova)  qui ne sont pas modélisables par des équations mathématiques.
Beaucoup d’économistes font ça à leurs artistes.

Les entrepreneurs ont beaucoup moins de chance que les artistes ou les inventeurs. Beaucoup de théoriciens de leur activité,  même sans avoir bu un verre d’eau minérale, peuvent bâtir d’immenses constructions pour modéliser l’activité économique en zappant complètement l’importance des initiatives individuelles et imprévisibles.

En zappant le coeur de la spécificité de l’économie comme de l’art ou de la science : l’action humaine.