Sur le podium des défaillances officielles du marché, la deuxième marche est occupée par l’information, ou plutôt l’asymétrie d’information.
Selon le modèle néoclassique, pour que l’échange entre deux personnes libres soit bénéfique, encore faut-il que celles-ci soient parfaitement informées sur ce qu’elles échangent.
Or ce n’est pas toujours le cas.
Un vendeur d’une voiture d’occasion sait si la voiture qu’il vous vend a été utilisée par un octogénaire soigneux ou par un petit con frimeur de 18 ans. Vous non.
Vous savez si le travail urgent que vous a demandé votre chef va vous prendre 8 heures de travail intense ou 4 heures de travail tranquille et 4 heures de pause café. Votre chef, non.
Votre agence de voyage sait avant votre départ s’il y a un dépotoir juste à côté de l’hôtel de rêve près de Dubrovnik. Vous non.
Cette asymétrie d’information peut donc provoquer des échanges qui n’auraient pas du avoir lieu au détriment d’autres échanges satisfaisants pour les deux parties.
Et comme les échanges libres sont au cœur de la théorie libérale, si ces derniers ne sont pas efficaces, le libéralisme économique va s’effondrer inéluctablement au moment de même de son envol, au début du 19 eme siècle.
2008, et toujours rien.. Caramba, les personnes libres auraient inventé des stratégies pour pallier à l’asymétrie d’information sans demander l’autorisation des économistes néoclassiques ?
En fait, pour l’école autrichienne (et d’autres..) la problématique de l’information parfaite a été mal posé par les néoclassiques.
Simplement parce que l’information a en elle-même une valeur, un coût pour être découverte, éventuellement un prix lorsqu’elle peut être échangée et nécessite des connaissances propres à chaque personne pour être exploitée correctement.
Comme pour la concurrence, l’information n’est donc pas une sorte de dallage préexistant pour qu’un marché ‘parfait’ puisse fonctionner. Dallage que l’Etat serait chargé de fabriquer ou de corriger en cas d’imperfections.
La découverte, l’acquisition, l’utilisation, la circulation de l’information est un processus à part entière dans un échange libre.
Et de surcroît, l’information n’est rien sans la connaissance, c’est-à-dire la capacité de chaque personne à percevoir l’information et à l’analyser.
Cette vision de l’information au sein du marché a ouvert un vaste champ d’étude en économie théorique.
La théorie du principal/agent s’est intéressée au coût supplémentaire induit par l’asymétrie de l’information sur chaque échange (recherche sur la fiabilité du vendeur, temps passé à contractualiser pour parer aux conflits potentiels futurs). C’est le coût de transaction.
L’école autrichienne s’est intéressée au rôle moteur de ceux qui découvrent de nouvelles informations pour produire ou échanger : les entrepreneurs.
Le principal et l’agent
L’information imparfaite, c’est comme la pluie en automne ou le soleil en août. On ne peut donc pas y échapper.
Initiée par R. Coase en 1937, la théorie du principal/agent s’est intéressée aux stratégies que les personnes libres inventent (ou pourraient inventer) pour échanger en limitant les risques.
Coase a donc imaginé deux créatures qu’il aurait pu appeler Bobo et Baba, mais qu’il a finalement appelées Principal et Agent parce que dans le monde universitaire on ne rigole pas avec le nom des théories si l’on vu être lu et respecté.
Bref Principal c’est celui qui doit acheter sans avoir toutes les informations nécessaires et Agent, c’est celui qui veut vendre en ayant la possibilité de cacher des informations (un vendeur de voitures d’occasion), voir de changer de comportement une fois le contrat signé: (un salarié par exemple)
Pour que ce modèle soit un modèle, Coase a retiré de sa théorie tout ce qui était trop compliqué et qui fait le charme de nous autres les êtres humains : les sentiments, l’honneur, les pulsions qui vont rougir, l’envie d’être aimé même par des inconnus, l’éducation de papa et maman, la croyance qu’un barbu nous regarde méchamment depuis un nuage, la peur d’un cachot etc..
Puis il a joué avec ses deux playmobils en imaginant comment ils pouvaient tout de même échanger.
Cela a donné une bonne nouvelle : Bobo et Baba peuvent tout de même échanger en s’appuyant sur leur réputation ou inventant des incitations pour que leurs intérêts coïncident, même après le contrat signé (des primes pour un salarié ou une garantie pour un produit)
Et une mauvaise : Toutes ces stratégies ont un cout : le cout de transaction (temps passé à rédiger le contrat prévoyant les résolutions de conflits ou à se renseigner sur la réputation) Cout qui est parfois tellement élevé que l’échange n’a pas lieu.
Ces éclairages intéressants, mais ils se heurtent aussi aux limites de la modélisation des acteurs : une personne libre et sa culture sont infiniment plus complexes que l’agent et son milieu blanc uniforme.
« L’économie étudie les actions réelles d’hommes réels. Ses théorèmes ne se réfèrent ni à l’homme idéal ni à des hommes parfaits, et pas davantage au mythique homme économique (homo oeconomicus) ni à la notion statistique de l’homme moyen. »
Mises, L’action humaine
Face à l’information imparfaite, les personnes libres trouvent et utilisent des stratégies soit pour diminuer l’imperfection de l’information, soit pour en limiter les conséquences potentielles.
Les stratégies inventoriées par la théorie du principal/agent pour que l’acheteur ne soit pas le dindon de la farce à chaque échange sont parfois classées en deux catégories :
La réputation du vendeur (les expériences passées, le bouche à oreille, les labels, les comparatifs, la publicité)
Les incitations faisant coïncider les intérêts de l’acheteur et du vendeur (les intéressements au résultat de l’entreprise, les garanties sur les produits vendus etc..)
Cette liste n’est pas limitative. Elle oublie notamment les valeurs morales et culturelles que beaucoup de personnes libres respectent et qui les poussent à ne pas abuser de la confiance des autres.
Cette liste n’est pas figée. Elle évolue aussi en permanence avec l’imagination de millions de personnes libres et l’apparition de nouvelles technologies.
Ces méthodes sont bien sûr imparfaites, mais il n’existe pas dans ce monde de Dieu omniscient et bon, même répondant au doux nom de ‘Etat’, disposant de cette information parfaite et pouvant la distribuer aux humbles mortels (pardon aux humbles citoyens.).
L’intervention de l’Etat pour imposer un niveau d’information minimum avant d’autoriser un échange (étiquetage, normes obligatoires) est possible, parfois utile.
Mais le fait que l’Etat impose une stratégie pour réduire l’asymétrie d’information n’abolit pas magiquement les coûts liés à la collecte de l’information.
La collecte, la diffusion et l’analyse des informations ont toujours un coût (porté par le producteur, donc au final par le consommateur)
Et le périmètre de l’information obligatoire n’est pas forcément le plus adapté pour aider aux décisions des personnes libres.
L’Etat en effet ne connait pas forcement les informations pertinentes nécessaire à chaque échange, d’autant qu’il devient vite une cible de lobbies ayant eux des idées très précises sur les informations qu’ils ne veulent pas diffuser.
D’autre part, chaque personne a des idées différentes sur les informations nécessaires à un échange. Par définition l’Etat n’en rend obligatoire que certaines, pas forcement celles dont une personne en particulier a besoin. (Par contre, comme celles de l’Etat sont obligatoires, cette personne en supportera le cout de toute manière.)
Enfin et surtout, l’Etat très vite réglemente sur tout et son contraire, au grès des titres du 20 heures ou de l’influence de lobbies. Cette avalanche de règlements mal pensés à un coût considérable. (Coût plus facilement gérable dans une grande multinationale disposant d’un département juridique que dans une PME ou chez un artisan.)
Les ministres et leur bombardement lourd réglementaire permanent créent donc de la pauvreté pour tout le monde et favorisent les grandes entreprises par rapport aux petites. Mais bon, le jeu en vaut la chandelle : on parle des étatistes au journal TV.
« Même si on juge que les résultats actuels du marché sont pour une raison ou pour une autre insatisfaisants, on ne peut pas juger que l’intervention, et même une intervention qui pourrait atteindre avec succès ses objectifs immédiats, soit à l’évidence la solution correcte.
L’imperfection de l’information économique, comme pour l’imperfection de l’information scientifique, créée donc des opportunités de découvertes soit de nouvelles informations, soit de méthodes pour pallier à l’imperfection de l’information.
Cette fonction, qui est celle de l’inventeur ou du chercheur dans les sciences de la nature est occupée par l’entrepreneur dans la sphère économique.
Dans ce contexte, l’entrepreneur n’est pas un jeune cadre dynamique au sourire beat entrain de sautiller devant une tour en verre pour vendre de la mousse à raser.
C’est une fonction que nous utilisons tous -plus ou moins- et qui est le moteur du progrès économique.
Elle consiste à imaginer des nouvelles productions, à imaginer de nouvelles manières de produire ou d’échanger et à imaginer de nouvelles manières de consommer.
La personne, qu’elle soit productrice ou consommatrice, en s’appuyant sur des informations éparses, ses connaissances propres et son flair tente d’imaginer des méthodes plus efficaces pour produire ou utiliser la production.
Et l’un de ses indicateurs dont elle dispose pour évaluer la réussite de sa tentative est le profit généré par cette nouvelle activité.
Cette fonction, dont l’importance est cruciale pour le progrès économique, est pourtant totalement absente sous une forme ou sous une autre de beaucoup d’écoles économiques. Forcement ces dernières ont besoin d’un univers statique, fini ou l’information présente, future est figée pour que leurs modèles fonctionnent. L’entrepreneur fait un peu tache dans cette nature morte pas franchement réaliste.
L’Ecole Autrichienne dont l’univers modélisé est ouvert et en déséquilibre réserve par contre une place de choix à cet entrepreneur imprévisible.