Le libéralisme est donc une philosophie politique basée sur la liberté individuelle.
Et il se trouve que les personnes libres passent une partie de leur temps éveillées à produire ou à échanger pour pleins de bonnes raisons. Ou plus généralement à agir ou à choisir.
Naturellement les penseurs libéraux se sont beaucoup intéressés à l’art de produire, d’échanger et à ses conséquences. Le libéralisme économique, c’est-à-dire la liberté de produire et d’échanger, est une des facettes du libéralisme au même titre que la liberté d’expression ou la liberté des mœurs.
L’économie existe depuis que les Hommes produisent et échangent mais la science économique est née sous la plume des premiers penseurs libéraux il y a moins de 250 ans. Elle s’est ensuite diversifiée en de multiples écoles en suivant des méthodologies ou des concepts débouchant parfois sur des théories totalement opposées au libéralisme.
La science économique et la médecine ont un point commun : elles ont une histoire encombrée de théories contradictoires, de rituels magiques, de charlatanismes en tout genre ou de scientisme mal placé. Malheureusement pour la prospérité économique, la comparaison s’arrête là. La médecine a largement réussi à se débarrasser de ses théories les plus loufoques, confinant la numérologie et l’astrologie aux dernières pages de Télé poche.
La science économique, elle, permet tous les jours en son nom, à des sorciers vaudous ou des mathématiciens fous de proposer des rituels collectifs saugrenus ou des prédictions bidons au beau milieu de journaux sérieux dans lesquels la vie des stars est à peine évoquée, c’est dire s’ils sont sérieux.
Tous les patients des sciences économiques ne sont pas pourtant pas dans une misère noire, c’est bien le signe que certains traitements ou concepts marchent mieux que d’autres..
1930. Les années folles sont terminées. Finie la rigolade libérale, le fox-trot, l’art déco, l’individualisme fêtard, la consommation de masse. Place aux idéologies totalitaires, aux prolétaires, aux races pures et à leurs meneurs qui s’occupent des choses sérieuses.
Les fondations du libéralisme sont chancelantes sous les coups de boutoir des guerres, de la crise économique et des grandes idéologies totalitaires.
Sur le plan des idées, il n’y a plus grand monde sur les remparts pour défendre les droits de l’Homme, l’économie libre. Des surréalistes aux staliniens, en passant par les nazis, il y a un consensus sur un point : le monde bourgeois doit disparaître, l’histoire est en marche vers un monde nouveau.
L’Autriche est aux premières loges de ce charmant spectacle. Et c’est dans ce pays que certains spectateurs font commencer à faire la grimace. Sur des strapontins des universités de Vienne (des profs non rémunérés par le gouvernement), le libéralisme économique va renaître de ses cendres sur le plan intellectuel avant de se disséminer notamment aux USA à l’arrivée des troupes allemandes.
L’Ecole Autrichienne considère que la science économique s’est fourvoyée sur la méthodologie, laissant un boulevard aux théories marxistes, planistes ou keynésiennes. Il faut renouer les liens avec les grands anciens -Juan de Mariana de l’école scolastique, Cantillon, Turgot, Say, Hume, Constant, Bastiat- puis affiner les concepts, la méthodologie et reconstruire une théorie de l’échange : la catallaxie.
Certains humanistes (pas trop curieux) font une impasse totale sur l’économie pour une (fausse) raison :
L’économie c’est chiant.
Certes prendre son petit déjeuner avec le taux d’inflation ou les cours de la bourse à la radio peut donner aux âmes sensibles l’envie de partir vivre nu de fruits, d’amour et d’eau fraîche sur une île paradisiaque.
Ce projet ensoleillé ne doit pas être pris pour des mauvaises raisons, en tout cas pas à cause de l’économie.
L’économie qu’un gentilhomme averti doit connaitre, ce n’est pas le chiffre d’affaires de la sidérurgie en Moldavie ou les estimations (fausses) de la croissance en Bretagne nord pour la prochaine année.
L’économie du gentilhomme éclairé ce ne sont pas non plus des équations mathématiques délirantes agrégeant tout et son contraire dans des petites boites aux définitions approximatives.
L’économie ce sont une poignée concepts clairs et compréhensibles, et les relations logiques qu’ils entretiennent les uns aux autres.
Faire l’impasse sur ces quelques connaissances accessibles, c’est se priver d’outils simples pour mieux comprendre son environnement immédiat et pour rendre le monde plus beau.
Sur le plan de la méthodologie, les phénomènes économiques ou sociaux n’ont qu’une origine : des individus qui choisissent subjectivement et qui agissent.
La science économique doit donc se bâtir en partant de cette brique fondamentale : l’individu libre, agissant en suivant des objectifs dont lui seul peut estimer l’importance.
Cela a plusieurs conséquences :
Les agrégats économiques (croissance, PIB, etc..) et les formules qui y sont rattachées sont à manipuler avec précaution : les phénomènes collectifs économiques n’ont pas d’autres origines que les interactions entre individus libres et imprévisibles..
Les mathématiques sont largement inadaptées pour la science économique. La valeur étant subjective et différente pour chaque individu, les lois économiques sont qualitatives et non quantitatives.
Le futur est imprévisible parce qu’il est construit par des individus libres. Une science économique qui tente de faire des prévisions chiffrées est une douce charlatanerie.
Cette sévère cure d’humilité pour les sciences économiques leur laisse pourtant un immense espace de recherche et une importance énorme dans les choix politiques : reconstruire par la logique et par des axiomes irréfutables des propositions permettant d’éclairer l’action humaine et les conséquences des choix
Comme l’ont très vite remarqué des philosophes grognons : la condition humaine n’a pas que des avantages.
D’abord, on meurt à la fin.
Et en plus on ne peut être qu’à un seul endroit à la fois. Par rapport à toutes les choses que nous voudrions faire, notre temps sur Terre est donc limité, rare.
Ensuite, beaucoup de ressources matérielles, du blé jusqu’au métal en passant par le silicium ou le chocolat sont aussi limitées, rares.
Et comme nous avons envie souvent de sensations (ne pas avoir faim, sentir bon) qui nécessitent à la fois des ressources (rares) et du temps (rare) pour transformer ces ressources, notre bien-être dépend d’objets ou de sensations deux fois rares. Ca fait beaucoup.
Face à ce constat un peu frustrant, une solution est d’inventer une divinité maléfique responsable de cette rareté (le malin, le marché, les bourgeois) et des rituels permettant de l’exorciser.
L’économie libérale propose une autre voie, plus modeste : une auto-organisation des échanges qui permet de gérer la rareté le moins mal possible (et sans bain de sang autant que faire se peut.)
L’économie libérale ne promet donc pas de faire disparaître la rareté, c’est impossible.
L’économie libérale ne promet pas le bonheur général, l’amour, la plénitude ou la fraternité. Il s’agit de catégories très respectables mais qui ne sont pas rares (ni abondantes d’ailleurs) et qui sont en tous cas hors de son périmètre.
L’économie libérale permet modestement d’allouer les ressources matérielles et le temps de travail le moins mal possible compte tenu de la complexité de notre société, tout en respectant les Droits de chaque personne (liberté, sûreté, propriété).
A cause de la rareté, nous allons donc être obligés d’arbitrer, c’est à dire choisir entre différentes options.
Choisir quel bien matériel nous voulons acquérir en priorité.
Acheter un roman de Houellebecq, acheter un roman de Jules Verne ou ni l’un ni l’autre.
Choisir à quoi utiliser notre temps.
Lire un roman de Houellebecq, lire un roman de Jules Verne ou ne pas lire.
Ces choix sont subjectifs. Chaque personne selon ce qu’elle attend d’un roman, et selon ce qu’elle pense trouver dans ces deux ouvrages, choisira l’un ou l’autre ou ni l’un ni l’autre.
Ces choix sont hasardeux. La personne peut se tromper sur l’attente qu’elle avait réellement de l’ouvrage, ou sans s’être trompée sur son attente, s’être trompée sur la teneur exacte de l’ouvrage.
Ces choix peuvent être conflictuels. Une autre personne peut vouloir lire le même roman alors qu’il ne reste qu’un seul exemplaire dans la librairie.
Ces choix peuvent être difficiles à trancher. L’hésitation peut être forte entre les deux romans ou aucun roman, mais une des trois options finit par l’emporter. Choisir entre différentes options, ‘arbitrer’ est la conséquence de la rareté.
L’économie libérale permet d’arbitrer en fonction de ses propres goûts, valeurs, besoins et en fonction du prix qui transportent une information sur tous les arbitrages faits en amont par les milliers de personnes ayant contribué à proposer ce bien ou ce service.
Mlle Cléa décide finalement de se plonger dans un voyage extraordinaire de Jules Verne, renonçant à lire un Houellebecq. Elle dépense donc 5 euros et 3 heures de son temps.
En dépensant ces 5 euros et 3 heures de lecture, elle n’a pas seulement dépensé du temps et de l’argent. Elle a aussi perdu ce qu’elle aurait pu avoir en utilisant le temps et l’argent ailleurs.
Le coût d’opportunité de la lecture de Jules Verne, ce sont les choses auxquelles elle a réellement renoncé pour pouvoir lire Jules Verne. En l’occurrence les pages désabusées bien écrites et parfois complaisantes de Houellebecq (ainsi que quelques scènes de cul habilement réparties tous les trois chapitres.)
Le coût d’opportunité, c’est la meilleure autre utilisation qu’elle aurait pu faire de son temps et de son argent, si elle n’avait pas arbitré en faveur de son premier choix.
Lorsque l’on évalue la justesse d’un choix, on ne doit pas seulement tenir compte des dépenses directes, mais aussi des gains que l’on ne pourra pas faire par ailleurs à cause de ce choix.
Ce n’est pas très intuitif : les dépenses directes se voient, mais le coût d’opportunité ne se voit pas, car par définition il tient compte de ce qui ne va pas exister.
C’est un concept important parce que ce coût d’opportunité est souvent mal évalué dans les arbitrages personnels ou dans les choix collectifs.